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Les choses humaines conservent quelque chose de relatif. Nous avons toujours été partisans d’une sage politique coloniale : une politique coloniale peut être sage de notre part, si elle est contenue dans de certaines limites. Elle peut même servir de preuve à notre sagesse, si on y voit la marque de nos résolutions pacifiques, et c’est bien ainsi qu’on l’a quelquefois jugée en Europe. Mais c’est là une démonstration qu’il ne faut pas faire avec excès, car nous devons garder la disponibilité de nos forces continentales, et rester prêts à tout événement. Est-ce bien ce que nous avons fait ? Non pas toujours, assurément. Notre politique coloniale est plus d’une fois sortie des bornes prudentes. Nos entreprises se sont succédé avec une rapidité et multipliées avec une abondance inconsidérées. Nous en avons fait, depuis quelques années, l’objet principal et presque exclusif de notre politique extérieure, sans même avoir pris la peine de nous assurer l’instrument d’action qui nous aurait été le plus indispensable. Ce n’est pas d’un ministère des Colonies que nous voulons parler, mais d’une armée coloniale : nous avons fait le ministère, nous n’avons pas fait l’armée, qui aurait peut-être été plus utile. Mais ce n’est là qu’un détail dans l’ensemble. Lorsqu’on écrira l’histoire de notre politique coloniale depuis environ dix-huit ans qu’elle est entrée dans sa période active, on verra que nous avons commencé par l’entourer de toutes les précautions possibles et que nous avons fini par les négliger à peu près toutes. Nous avons débuté par la Tunisie, qui reste encore notre chef-d’œuvre, bien que la conquête militaire ne se soit pas faite sans quelques difficultés imprévues, et bien qu’elle nous ait presque brouillés avec l’Italie : il a fallu longtemps pour effacer cette impression à Rome, et peut-être y existe-t-elle encore. Mais, du moins, nous avions pris nos garanties du côté de l’Angleterre et de l’Allemagne, et tout le monde sait que nous sommes allés à Tunis avec le consentement de la première et avec les encouragemens de la seconde. Une entreprise ainsi préparée présentait le minimum d’inconvéniens possible. Voilà ce que nous avons fait en 1880 ; depuis, nous avons procédé autrement. Mais l’heure serait mal choisie pour énumérer les fautes que nous avons pu commettre. La plus considérable peut-être est d’avoir voulu trop faire en même temps. Si Paris avait été la Rome antique, le temple de Janus ne se serait pas fermé pendant plusieurs années de suite. Nos guerres, coloniales étaient de petites guerres sans doute, mais elles étaient continuelles. Après la Tunisie, l’Annam et le Tonkin ; puis nous avons établi notre protectorat sur le Cambodge : puis sont venues les difficultés du Laos et du Siam ; puis nous avons eu