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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 novembre.


Peut-être n’est-il pas mauvais pour un pays, même au prix d’une épreuve pénible, d’avoir l’occasion, ou plutôt l’obligation de faire un retour sur soi-même et sur sa politique. La triste affaire de Fachoda nous a imposé cette obligation, et nous serions malavisés de la laisser échapper. Un simple incident a quelquefois des conséquences disproportionnées avec son importance propre, et tel est sans doute le cas de celui qui vient de prendre fin. Il a soulevé, non seulement en France et en Angleterre, mais dans le monde entier, une émotion qui n’est pas encore calmée. L’Angleterre n’a d’ailleurs rien fait pour qu’il en fût autrement.

Il aurait été très facile de liquider à l’amiable cette très petite affaire ; mais elle ne l’a pas voulu. Dès la première conversation de M. Delcassé avec sir Edmund Monson, ou de M. de Courcel avec lord Salisbury, notre intention d’évacuer Fachoda n’a pu faire pour elle aucun doute. Nous lui demandions seulement d’y mettre, dans la forme, quelques ménagemens, comme ne refusent jamais de le faire deux nations amies, lorsqu’elles sont déjà d’accord sur le fond. Elle s’y est refusée. La question s’est alors posée de savoir si cette attitude imprévue de sa part devait nous amener à modifier la nôtre, celle que nous avions adoptée après réflexion comme la plus conforme à nos intérêts. Nous ne l’avons pas cru. Il y a quelques années, l’Allemagne a failli avoir, à propos des îles Carolines, un conflit avec l’Espagne : on se rappelle l’explosion de sentimens belliqueux qui s’est produite dans toute la péninsule. M. de Bismarck a déclaré qu’en pareille occurrence, c’était le plus raisonnable, celui qui avait conservé tout son sang-froid, qui devait céder. Il a cédé, et ni lui ni son pays n’en ont été diminués. Les Carolines ne lui paraissaient pas valoir une guerre : nous avons porté le même jugement sur Fachoda. L’Angleterre ne l’ignorait pas : faut-il croire qu’elle ait tenu à se procurer l’apparence d’un succès arraché de haute lutte ? Étant donné l’état de l’opinion, cela