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aussi caractéristiques que les amours du jeune homme, et notamment son aventure galante avec une dame anglaise. « Je vivais dans une espèce de transport qu’il est impossible de faire comprendre à ceux qui ne l’ont jamais éprouvé. Je ne pouvais plus rester en repos : et aussitôt que j’étais obligé de m’étendre un peu, je me relevais avec des gémissemens, et me démenais dans ma chambre comme un véritable fou. Dans un des jours intermédiaires qui séparaient mes visites à ma bien-aimée, me promenant à cheval, aux environs de Londres, avec le marquis Caraccioli, je voulus lui montrer combien mon cheval était étonnant : je m’apprêtai à sauter au galop par-dessus une barrière : je tombai et, quand je me fus relevé, il me sembla d’abord que je n’avais aucun mal. Mais, après avoir fait quelques pas, dès que ma tête et mon corps commencèrent à se refroidir, j’éprouvai une douleur affreuse dans l’épaule gauche. Elle était démise, et le petit os qui l’unit au col était brisé[1]. » Sait-on ce que prouve ce récit, suivant M. Antonini ? Il prouve qu’Alfieri « était dès lors atteint de cette invulnérabilité et de cette analgésie qui sont propres aux épileptiques. »


Ici se placent les deux faits « psycho-pathologiques » les plus ira-portans de la vie d’Alfieri, ou plutôt les deux seuls faits vraiment « psycho-pathologiques » de toute cette vie, car après eux M. Antonini ne trouve plus guère à noter, jusqu’au bout de son étude, que des accès de goutte et des accès de mauvaise humeur.

Le premier de ces deux faits est celui que le savant lombrosiste définit : « un équivalent épileptique. » En voici l’histoire, racontée par le poète lui-même : « Un soir que j’avais soupe avec un ami, et que j’étais encore à causer, près de la table, avec lui, mon valet Élie entra dans la chambre pour me coiffer, comme il faisait tous les soirs ; en me serrant une boucle avec son fer, il me tira les cheveux si fortement que je crus qu’il me les arrachait : et aussitôt je me lève, dans un accès de fureur, je prends un chandelier et le lui lance à la figure… Quand je me suis demandé, par la suite, quelle avait été la cause d’un transport si brutal, je me suis convaincu que ce cheveu tiré notait, pour ainsi dire, qu’une dernière goutte jetée dans un vase prêt à déborder. Mon caractère irascible, exaspéré encore par la solitude et par l’oisiveté, n’avait besoin que de la plus légère impulsion pour éclater. » Mais Alfieri se trompe dans son explication : la vérité, du moins suivant

  1. Nous empruntons toutes nos citations des Mémoires d’Alfieri à la traduction française publiée par M. F. Barrière, en 1862, dans la Bibliothèque des Mémoires relatifs à l’Histoire de France (Librairie Firmin-Didot).