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en effet dans quelles circonstances le poète piémontais a écrit ces Mémoires, qui sont du reste fort intéressans, pleins de mouvement et de vie, et dont nous possédons trois ou quatre traductions françaises. Admirateur passionné de Rousseau, il a voulu, lui aussi, léguer à la postérité une confession qui, sous des apparences de franchise cynique, pût contribuer à faire admirer la droiture de ses sentimens et Faîtière indépendance de son caractère : sans compter que, en attendant l’admiration de la postérité, il aura sans-doute souhaité conquérir celle de sa royale maîtresse, la comtesse d’Albany, personne éminemment romanesque, et elle-même fort amie de l’exagération : de telle sorte qu’à toutes les pages de ces curieux Mémoires, écrits en grande partie à Paris durant la tourmente révolutionnaire, on sent l’emphase d’un rhéteur, ou, si l’on veut, d’un poète romantique, forçant la mesure de ses vices comme de ses vertus, et ne visant à rien qu’à paraître passionné. Considérés à ce point de vue, les Mémoires d’Alfieri pourraient même fournir la matière d’une étude littéraire des plus intéressantes. Ils nous feraient voir, notamment, combien le byronisme a eu peu à faire, et le romantisme tout entier, pour sortir des Confessions de Rousseau et de la littérature révolutionnaire. Et l’on y verrait aussi comment une volonté infatigable peut suppléer à l’absence du talent naturel : car, sans avoir la prétention de juger l’œuvre poétique d’Alfieri, nous pouvons bien affirmer que jamais une œuvre n’a été aussi voulue, produite au prix d’efforts aussi obstinés ; et c’est cette volonté, ce sont ces efforts incessans pour devenir un grand homme, qui forment le vrai sujet des Mémoires du poète. Mais l’école lombrosiste ne l’entend pas ainsi : l’œuvre d’Alfieri, suivant elle, n’est pas un résultat de la volonté, mais une manifestation morbide résultant fatalement d’un état de dégénérescence, un « équivalent » et un succédané de l’épilepsie. Et ainsi M. Cognetti, prenant à la lettre les affirmations même les plus invraisemblables du poète d’Asti, se fait fort d’en tirer un diagnostic complet de « psychose géniale. » — « Attiré et fasciné, nous dit-il, par la féconde théorie lombrosienne sur le génie, j’ai entrepris d’en établir une preuve nouvelle en étudiant la vie et le caractère d’Alfieri : car la névrose épileptique est, chez ce poète, très nettement caractérisée, et son exemple montre clairement tout ce qui entre d’inconscient, d’instinctif, et d’intermittent dans la production géniale… Et qu’on ne me reproche pas de manquer de respect à la mémoire de notre grand tragique : car mon objet est au contraire d’établir qu’il a possédé les attributs et les symptômes de la génialité, tels que les a déterminés, dans son admirable ouvrage, notre maître