Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’œuvre qu’il a commencée. C’est une désertion. Ici encore on devine qu’il ne sera pas en peine pour se payer de mots sonores. A l’en croire, il se sacrifie pour ses idées, car des idées ne triomphent que si on a souffert et si on est mort pour elles. Autant dire que pour aboutir les réformes ont besoin d’avorter. Le fait est que comme Ruy Blas, comme Antony, comme Chatterton, comme René et comme Werther, tous pareillement insociables et inaptes aux conditions de la vie, il est hanté par l’idée du suicide. Il se croit un martyr, il n’est que le jeune premier fatal. — Ces déclamations passaient vers 1830, grâce à l’espèce de fièvre qui s’était emparée de toute la littérature. Le temps a marché. Nous ne sommes plus au ton.

Struensée est bien joué. Il faut d’abord constater l’éclatant succès de M. Le Bargy. Il a dessiné en grand comédien le personnage de Christian VII. Il a mis dans une courte scène une intensité et une puissance d’expression qui ont transporté la salle. M. Leloir a dit avec beaucoup de justesse le rôle de Rantzau. M. Albert Lambert, chargé du rôle de Struensée, s’en est tiré à son honneur. Mlle Lara est gracieuse et un peu insuffisante dans le rôle de la reine.


C’est une nécessité que tous les romanciers finissent par aborder le théâtre. Je crois bien qu’il en a été ainsi de tout temps, et je ne m’en plains donc pas. Le théâtre est un genre trop voisin du roman ; il offre trop d’avantages de toute sorte ; la tentation est trop forte, M. Pierre Loti y cède à son tour. Il faut bien reconnaître que son essai n’a pas été cette fois très heureux. Nous doutons fort que les cinq actes qu’a représentés le Théâtre-Antoine ajoutent beaucoup à la gloire de l’auteur de Pêcheur d’Islande et de Ramüntcho. Son talent d’évocation devient inutile, puisque au théâtre le décorateur prend la place de l’auteur. La grâce de son style disparaît. Il ne semble pas qu’il acquière en revanche cette concision et cette rapidité de dialogue si nécessaires à la scène.

Judith Renaudin est une série de tableaux. Ces tableaux n’ont pas entre eux un bien très étroit, et on voit mal pourquoi l’auteur a choisi ceux-ci plutôt que d’autres. C’est un défaut inhérent au genre. Mais en outre ces tableaux se réduisent la plupart du temps à une sorte de parade ou de pantomime. Le caractère des personnages est à peine indiqué. Certes nous ne demandons pas à être plus amplement renseignés sur l’émotion que cause à la jeune Mlle Renaudin la vue du bel officier de dragons M. d’Estelan. Ces choses sont connues, depuis qu’il y a des femmes et qu’elles aiment les militaires. Mais puisqu’on veut