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Bernhardt est sans rivale. Les vers empanachés et fleuris de M. Catulle Mendès ont été ce prétexte. La nouvelle Médée relève donc moins de la littérature proprement dite que de l’art spécial de la plastique. Apparemment, c’est celui que Mme Sarah Bernhardt appelait dans une lettre récente « l’art noble, réparateur et instructif, » et à la propagation duquel elle s’honore de s’être consacrée. N’oublions pas de plaindre en passant les pauvres filles dont Mme Sarah Bernhardt s’entoure comme d’inoffensives comparses, et que ni leur goût, ni leur éducation, ni leurs occupations ordinaires n’ont sans doute préparées à faire valoir la cadence des rythmes parnassiens.


C’est de pièces historiques que nous avons cette fois à nous occuper : on en a pour la circonstance écoulé tout un lot. Il est des morts qu’il faut qu’on tue. Le genre historique au théâtre est un mort qui n’a jamais vécu ; c’est peut-être ce qui empêche qu’on en puisse avoir raison. Quand un genre, en plus de soixante années d’une existence bruyante, n’a pas produit une œuvre solide, c’est qu’il y a en lui un vice essentiel. De fait, par quelque côté qu’on l’envisage et par quelque biais qu’on veuille le prendre, on arrive à la même conclusion : le genre historique est un genre faux, essentiellement faux, le type du genre faux ; cela même le constitue. Car met-on des personnages réels aux prises avec des événemens imaginaires, ou mêle-t-on des personnages imaginaires à des événemens réels ? dans les deux cas c’est le mélange du roman avec l’histoire. Nous montre-t-on les princes et les ministres occupés à nous exposer le secret de leurs desseins ? il y faut la bonhomie du vieux Dumas et cet incomparable sans gêne avec lequel il tutoyait les Henri III, les Richelieu et les Mazarin. Le triomphe du genre historique consiste à expliquer les grands effets par de petites causes ; c’est donc proprement le roman chez la portière. Supposons enfin chez l’auteur une habitude des méthodes historiques, une érudition, un souci de l’exactitude, dont il n’y a d’ailleurs aucun exemple, on se heurterait encore à un anachronisme inévitable et foncier. Entre les acteurs du drame et les spectateurs il y a la différence des années ou celle des siècles. Les personnages qui dialoguent sur la scène ont vécu dans un ensemble de conditions maintenant disparues et qui les ont en partie façonnés. Nous n’apercevons leurs sentimens qu’à travers les nôtres ; nous sommes devenus étrangers à beaucoup de leurs manières de penser, insensibles à beaucoup des mobiles qui les faisaient agir. Peut-être le lecteur dans la solitude, à force de conscience et d’imagination, arrive-t-il à s’échapper à lui-même, à sortir