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Au large resplendit le splendide parterre,
Le jardin sans pareil qui s’émaille, au matin,
D’éblouissantes fleurs qu’on ne voit pas sur terre.

Sur des flots de velours, de moire, et de satin
Glisse nonchalamment la flottille des fées ;
Leurs rames que j’entends font un bruit argentin.

Elles s’en vont sur l’eau, d’algues vertes coiffées,
Elles vont. Leur gaîté s’éparpille dans l’air,
L’odeur de leurs bouquets m’arrive par bouffées.

Plus loin, à l’horizon, les nymphes de la mer
Poussent de joyeux cris sur leurs cavales franches
Et jamais bataillon ne me parut si fier :

Un flot de verts cheveux leur inonde les hanches,
Une lueur de brume illumine leurs yeux ;
Sur l’azur formidable, elles sont toutes blanches.

Et voici maintenant le rocher merveilleux
D’où, quand la nuit descend, Mary-Morgane chante
Aux matelots perdus son chant délicieux.

Sa voix de pur argent, sa voix qui les enchante
Monte comme un appel au ciel en floraison,
Douce, folle, ironique et quelquefois méchante.

Mais tout homme est bien près de perdre la raison,
Quand, sous la lune claire, il a vu la sirène
De sa bouche de fleur lui tendre le poison :

En sa grotte de nacre et d’azur elle est reine ;
Chacun de ses regards est un commandement,
Sa magie au profond du gouffre vous entraîne.

Et l’heure a tressailli du grand enchantement,
Une ville de rêve apparaît dans l’abîme,
Des cloches ont tinté mélancoliquement.