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le commente par cette déclaration, que la réponse devra être une adhésion pure et simple et que, pour la Grande-Bretagne, le débat est épuisé. Le sultan essaie néanmoins d’une note où il semble tout consentir, et réserve par des sous-entendus son droit de garnison et sa souveraineté. Une note nouvelle lui signifie, sans discuter, le 14 octobre, que, s’il ne cède pas, les quatre puissances emploieront la force. Cette note était remise à Abdul-Hamid le jour où l’Italie, une des puissances signataires, saluait à Venise le départ de Guillaume II pour l’Orient. Le délai d’évacuation expirait la veille du jour où l’Empereur était attendu à Constantinople. La déclaration du Pape, l’ultimatum des puissances devient un véritable obstacle sur la voie triomphale. Le chef du catholicisme prévient l’Empereur que, s’il vient chercher au tombeau du Christ une prééminence religieuse, il ne l’y trouvera pas. L’ultimatum des puissances oppose aux principes de Guillaume II sur la souveraineté du sultan le principe de l’Europe chrétienne sur les droits naturels des hommes. L’un et l’autre acte placent l’Empereur entre un recul et une témérité. Qu’il prétende exercer le protectorat catholique en Orient malgré le Pape, et défende à Candie le sultan malgré l’Europe, il risque gros. Que la prudence le conseille et qu’il laisse aux catholiques le soin des intérêts catholiques et au sultan les embarras de la liquidation musulmane, il satisfera le Pape, mais décevra le Commandeur des Croyans, et si la Crète est enlevée à la Turquie sans un secours de l’Allemagne, au milieu même des fêtes données par la Turquie à son impérial ami, l’ironie des choses aura ménagé à la Turquie et à l’Allemagne, à la confiance de l’une et à l’orgueil de l’autre, une mémorable leçon. Et, en même temps que ces causes abaissent en Orient la grandeur germanique, elles commencent à y rétablir l’influence française. La France n’a jamais excité de défiances par son caractère, elle n’excite plus de jalousie par sa fortune. Elle est entre les peuples la plus capable de les persuader et de les unir. C’est surtout grâce à elle qu’à la duperie du concert européen succède l’accord des quatre puissances, c’est par elle qu’il peut se maintenir. Et tout ce qui est accord inspirera de la crainte aux Turcs et tournera en respect pour la France.


ÉTIENNE LAMY.