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espérances de la Crète, et qui semblait fait pour protéger contre l’une et l’autre la souveraineté de la Turquie.

Tant de sacrifices faits à la concorde des puissances, au lieu d’empêcher le conflit, le rendirent inévitable. Les gouvernemens avaient perdu à la fois leur autorité morale sur la Grèce et sur la Crète ; la révolution et la guerre répondirent à la fois. L’Allemagne seule avait condamné la révolution et seule poussa la Turquie à la guerre. Et tout alla comme elle voulut, parce qu’elle sut vouloir. Heureuse, la guerre rendit au sultan le prestige militaire. Rien ne pouvait être plus sensible à un peuple brave, et il sut gré au seul souverain qui l’eût presque contraint à la gloire. L’empereur allemand continua ses bons offices au moment où se traitait la paix. Il tint toujours le parti turc, et, réclamant pour le vainqueur les fruits de la victoire, appuya toutes les rectifications de frontières qui étaient avantageuses aux Turcs, et insista pour qu’ils gardassent la Thessalie. Au lendemain de la paix, aucun prestige n’était comparable à celui de l’Empereur aux yeux des Turcs : ce fut l’âge d’or de l’influence allemande.

Les premiers mois de cette année virent l’apogée de cette politique. C’est alors que le ministre des Affaires étrangères, M. de Bulow, la définissait en ces termes devant le Reichstag : « L’empire allemand n’a pas d’intérêts en Orient ni dans la Méditerranée, mais il veut conserver l’amitié du sultan et lui éviter tout ennui. » C’est alors que le sultan, fort de cette assistance, refusait de rien changer en Crète, d’évacuer la Thessalie, recevait les conseils des plus grandes puissances en homme maître d’agir malgré elles et garanti contre leurs ressentimens par une protection supérieure. C’est alors que le sultan envoyait quatorze officiers à Berlin pour y servir dans la garde ; que la direction des services hospitaliers et sanitaires dans les armées ottomanes était confiée à deux professeurs allemands ; qu’un seul de tous les ambassadeurs, celui d’Allemagne, M. de Marschall, était, durant le Rhamadan, convié à l’Iftar et dînait avec Sa Majesté ; qu’à Yldiz-Kiosk, les serviteurs de l’Allemagne se trouvèrent parmi les plus hauts dignitaires musulmans ; que les projets étaient agités de confier à l’Allemagne la réfection de l’artillerie, la construction d’une nouvelle flotte, les voies ferrées de l’Asie Mineure jusqu’à Bagdad. L’habileté de l’Allemagne lui avait valu pour la paix la clientèle d’un peuple sans activité et sans industrie, pour la guerre l’alliance d’une armée nombreuse et brave. Si l’Empire n’avait pas