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par la juxtaposition des couleurs, et pour l’avoir hardiment substituée à la lumière par la juxtaposition des valeurs. Ce qui était discutable dans la peinture de chevalet devenait nécessaire dans la fresque, ou — ce qui revient au même — dans la toile décorative. Allons au Panthéon ou dans l’hémicycle de la Sorbonne, nous en reviendrons persuadés que si le dessin du maître disparu n’est pas impeccable, si sa perspective est incertaine, et sa myologie hasardeuse, lui seul a su ordonner devant nos contemporains les grands ensembles qui sont humains, et y répandre à flots la lumière qui est divine.


III

Et maintenant que signifient toutes ces figures où l’on a, pendant si longtemps, voulu voir des « intentions » ou des symboles ? Quel est l’enseignement de cette vie commencée par la fidélité au même idéal et continuée par la gloire ? Nous croyons qu’on peut en trouver beaucoup, mais que l’enseignement le plus apparent de cette œuvre et de cette vie, c’est le calme et la force. C’est d’abord le calme. Pas un de ces chefs-d’œuvre n’inquiète, ni ne surexcite. Tous reposent et s’ils évoquent quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes, c’est l’idée d’union pour la vie commune et de paix. Cette impression est si forte qu’au lendemain de la mort du Maître, on l’a appelé : « Celui qui emporte la Paix. » Mais il n’en a pas emporté l’enseignement.

Au milieu de nos cités agitées et confuses, en plein Paris, dans le quartier bruyant des Ecoles, et à l’Hôtel de Ville, à Lyon, sur la place des Terreaux, à Amiens, à Rouen, à Marseille, ses figures symboliques demeurent paisibles, calmes, moissonnant le blé, abattant les arbres, façonnant l’argile, frappant l’enclume, trayant les vaches, amarrant des bateaux, offrant du pain, « jouant pour la Patrie, » avec des gestes graves et des attitudes ingénues. Ces figures sont-elles un divertissement d’esthète ou de dilettante, la négation de la vie moderne, l’évocation d’un avenir impossible ou d’un irrécouvrable passe ? Non. C’est la vie même. C’est la vie profonde de la patrie qui, sous les agitations des surfaces, persévère et continue. C’est la vie des multitudes obscures dont l’Histoire ne dit rien, « qui labourent en silence et adorent Dieu avec humilité. » Ce sont les millions de vies anonymes qui s’écoulent dans les faubourgs, où se tient la Sainte Geneviève, sur