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les gestes qui signifiaient le mieux le sentiment de leur héros, mais celui qui décelait le plus leur talent de dessinateur ou de perspectiviste. Le fameux Christ en raccourci de Mantegna a fait école pendant de longs siècles, et les petites habiletés du Carrache ou du Guide excitaient, il y a vingt ans encore, l’admiration des amateurs. Puvis de Chavannes sentant son dessin hésitant ne pouvait tenter la grande difficulté, le morceau de bravoure. Il s’en tint ordinairement aux gestes simples, aux attitudes précises et calmes. C’est ce dont on avait besoin alors. C’était nouveau et nécessaire pour ramener l’art à la simplicité. Certains défauts le servirent en cette occasion mieux que n’auraient fait certaines qualités. Ils répondaient exactement à l’espèce d’imperfection que nous désirions secrètement dans le métier de peintre. Ses solécismes nous reposaient des rhétoriques vides. Et son succès fut fait presque autant de ses faiblesses que de ses vertus.

Nier ces faiblesses ne servirait de rien : les artistes à venir les verront clairement et seront plus sévères que nous. Ils n’accepteront nullement l’étrange argumentation imaginée par les apologistes pour transformer des erreurs de détail en vérité d’ensemble. « Ce qui vous paraît des erreurs, disent-ils, sont des « simplifications. » Ce qui vous semble incomplet, c’est de la synthèse. L’artiste eût pu faire voir chaque muscle, chaque repli, chaque ride comme Holbein. Il eût pu donner aux contours toutes leurs menues inflexions, comme l’Albane ou le Corrège. Mais, traçant de grandes figures décoratives sur un très vaste plan, pour être vues de loin et d’ensemble et pour exprimer des idées ou des formes très générales, il n’a voulu montrer que ce qui, en elles, était nécessaire, et ne profiler aux yeux que le grand contour qui résume la forme et l’idée. »

C’est là une noble ambition et une vue très juste, mais ce n’est point une excuse à des erreurs de dessin. Car il est bien entendu, pour tous ceux qui ont le sens du grand art mural, qu’il faut simplifier tout mouvement, tout modelé, toute attitude. Seulement il faut que le trait synthétique de ce mouvement soit juste au lieu d’être faux. Tout est là. Il n’est pas besoin de plus d’un trait pour souligner l’omoplate : seulement il faut que ce trait soit à la place où finit l’omoplate et non ailleurs. On peut imaginer un bras figuré par deux lignes : seulement il faut que ces deux lignes soient de proportions rigoureuses, de rapport impeccable