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secret de la stratégie et que de ces petites laideurs se compose la totale beauté.

Or, le dessin de Puvis de Chavannes est plein de ces petites erreurs. Même là où il est correct, il n’a pas de sécurité. Même là où il est juste, il n’a pas de liberté. Pas un de ses raccourcis n’est beau et quelques-uns sont délibérément monstrueux. Certaines figures comme l’enfant du Pauvre Pêcheur (au Luxembourg) ne peuvent par aucun subterfuge être expliquées, et moins encore défendues. La construction de ses personnages est souvent hasardée, incertaine et choquante. Les cous sont parfois attachés non entre les deux épaules, mais en avant, sur un plan qui projette la tête horizontalement, comme celle d’un bossu. Il n’est point nécessaire d’être familier avec le canon de Polyclète, ni avec celui de Battista Alberti, ni d’avoir fait un homme écartelé dans un rond, comme Léonard de Vinci, pour s’apercevoir tout de suite que les bras, chez Puvis de Chavannes, fort longs de l’épaule au coude sont singulièrement attachés au torse ou plutôt détachés, se mouvant sans relations étroites avec les deltoïdes et les pectoraux. Partout se posent des points d’interrogation : devant la femme à genoux qui trait une vache au Panthéon, et le joueur de syrinx de la Vision antique, à Lyon ; devant la femme assise, les bras liés aux genoux, du Doux Pays, et devant celle debout, tenant la corbeille de l’Automne ; devant le Saint Jean-Baptiste dont on ne peut imaginer les jambes, et le vieillard couronné de laurier, à la Sorbonne, dont on ne peut faire, avec le buste, concorder les bras. Heureux, quand de larges voiles, des péplums ou des chlamydes viennent jeter, sur l’indécise ossature du nu, la richesse et la rhétorique de leurs plis ! Malheureusement, trop souvent de grandes toiles comme le Bois sacré ou l’Été sont envahies par des académies. Heureux encore, quand l’artiste se borne à des profils, comme dans les joueurs du Ludus pro Patria, ou à des mouvemens très simples et très posés, sans raccourcis, comme le père de sainte Geneviève contemplant sa fille qui est en prière. Là, il atteint presque la perfection de la linea radiosa des maîtres. Mais dès que le mouvement se complique, dès que le geste se développe, que les muscles se tendent ou se gonflent, le dessin de Puvis de Chavannes faiblit. Il n’a aucune virtuosité.

Ne nous en plaignons pas trop. Lorsqu’il parut, l’art était aux mains des virtuoses qui cherchaient non les expressions ou