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PUVIS DE CHAVANNES

Sur un pilier antique conservé à Rome, dans cet étrange musée des Thermes de Dioclétien qui porte l’enseigne Asile pour les aveugles et est en réalité une fête pour les yeux, on voit ceci : une tige de lierre monte en se développant, se divise en deux branches qui reviennent sur elles-mêmes selon la forme des caducées, et se croisent, se quittent de nouveau, et deviennent, sans changer leur arabesque, une tige de laurier qui, à son tour, montant plus haut, selon le même rythme, devient une tige de chêne. Et l’on rêve d’une vie qui, sans changer sa direction ni son dessein, serait d’abord fidèle comme le lierre, ensuite glorieuse comme le laurier et donnerait enfin l’impression de la force comme le chêne. On imagine une âme qui reproduirait parmi nous la merveille d’art de cet humble motif ornemental caché dans le coin d’un musée désert : croître toujours tout droit vers le même idéal, se développer sans hâte, changer sans heurt, ne se transformer qu’en s’élevant, n’arriver à la gloire que par la fidélité et ne monter dans la gloire que pour la transformer en de la force. On pense que si cela peut exister à titre d’ornement ou de symbole dans l’Art, ce n’est pas possible dans la vie. On se trompe. Tel fut Puvis de Chavannes.


I

D’abord la fidélité, c’est le grand trait de l’homme qui vient de disparaître. Depuis le jour, en 1854, où il envahissait la salle à manger de son frère, à la campagne, pour y déployer des figures décoratives qui n’auraient trouvé accès dans aucune autre maison au monde, jusqu’à celui où, de toutes parts, la France lui ouvrit les portes de ses palais et de ses temples pour qu’il leur donnât l’immortalité, son idéal est resté le même. Il a voulu