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religieuses qui en précédaient d’autres, deux petites sœurs de la Miséricorde, Canadiennes de Québec, Françaises par conséquent. Au milieu de ces grossiers quêteurs d’or dont les yeux semblent toujours fouiller la terre, elles arrivaient, elles, regardant le ciel ; elles apportaient aux malheureux le secours, non de leur bourse qui était vide, mais de leur pieux dévouement, de leur saint amour de Dieu et des hommes. L’émotion fut grande et, parmi les témoins de cette touchante apparition, plus d’un fléchit le genou dans la neige sans que nul songeât à s’en scandaliser.


VI

Si incomplète et si précaire que soit la vie à Dawson, l’existence du mineur dans l’exercice de ses fonctions est encore plus ingrate et non moins aléatoire. Rien que le trajet de la ville aux mines, en été, est presque un tour de force. La sente qui y mène a de tels raidillons qu’on risque à chaque instant de se rompre le cou ; et puis il faut lutter contre la mousse où l’on s’enfonce, contre les racines où les pieds se nouent, contre les moustiques qui font rage. « C’est bien pire, nous dit-on, qu’à la Chilkoot Pass ! » Veut-on essayer de faire la course à cheval, on le peut à la rigueur ; seulement la location du cheval coûte 300 francs par jour. A dos d’homme ou de chien, le transport des paquets, pour une distance de 25 kilomètres, revenait à 4 francs le kilogramme en 1897 et n’a diminué que d’un franc cette année. Cela fait 3 000 ou 4 000 francs la tonne. Sur rails, une tonne de marchandise ferait, à ce prix, deux fois le tour du monde. Il est vrai qu’en hiver, le tarif se réduit à 1 franc le kilo, parce que, les torrens étant congelés, on en remonte le cours avec des traîneaux ; mais c’est encore excessif.

Les mineurs du Klondyke se trouvent donc plus séparés du monde civilisé que les riverains mêmes du Yukon. Deux talus embroussaillés, deux falaises parfois, sont leur horizon. Quelques planches, amenées à grands frais de la scierie voisine, leur font une sorte de guérite, éclairée à défaut de vitres par des rangées de bouteilles vides ; et c’est là qu’après avoir mangé des conserves et bu de l’eau ou de l’alcool, ils se couchent tout habillés dans des sacs pleins de vermine. Faire de l’or, tout est sacrifié à cette idée fixe ; et c’est une fatigante besogne, en somme, que de faire de l’or, même quand on dispose d’un minerai « qui paye, »