Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/390

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aux dernières nouvelles, les garçons de café recevaient 50 dollars par semaine, pourboires non compris ; les bons cuisiniers 10 dollars par jour : nourris et logés avec cela. Aux croupiers des tables de jeu, la journée de douze heures était payée 15 ou 20 dollars. Les coiffeurs demandaient un demi-dollar pour une barbe, un dollar pour une coupe de cheveux. Les bains (25 ou 30 litres d’eau tiède) coûtaient 1 dollar et demi ; mais on en prenait peu. Aucun des cinq ou six médecins du lieu ne se dérangeait à moins d’une once d’or (88 francs) ; pour aller voir un malade dans les mines, la rétribution exigée variait de 500 à 2 500 francs, selon la distance.

Tout se règle en or brut, en poudre d’or, sur le pied de 17 dollars par once. Chacun porte, sous ses fourrures, son sac à poudre en peau de daim et sa petite balance de poche. Dans les boutiques, l’acheteur verse doucement la précieuse cendre brune dans une soucoupe, jusqu’à ce qu’on lui dise : « C’est assez ; » et, s’il a trop versé, on lui rend l’excédent. Mais les trébucheurs de profession sont la dextérité même. Dans les tripots, un caissier qui se respecte doit, paraît-il, tirer de sa balance un bénéfice supplémentaire d’au moins 20 pour 100. Et ceux qui font les frais de ces exactions ne protestent guère : l’or, dans le pays de l’or, coule facilement de toutes les mains. On sait qu’il y en a tant là-haut, dans la montagne !


III

Qu’il y ait au Klondyke énormément d’or, c’est ce qu’on ne saurait nier désormais ; ni que de cet or, accumulé par les mineurs, d’autres professionnels allant se mettre à leur service puissent tirer de copieuses rémunérations, comme font les docteurs à 17 dollars la visite ou les valseuses à 10 francs l’heure. Grande serait toutefois l’erreur de ceux qui, en Amérique et surtout en Europe, s’imagineraient qu’il suffit de partir les mains vides pour revenir bientôt de là-bas les mains pleines. La réussite est loin d’être assurée, même à qui ne manque ni de savoir-faire, ni de prudence, ni de courage. Nous nous étions tout à l’heure transportés, comme d’un coup de baguette, au pied de la montagne enchantée et nous évoquions sans effort les millions enfouis dans ses profondeurs. Mais rien que pour pouvoir toucher le seuil de cette soi-disant terre promise, que de conditions à remplir et que d’obstacles à