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rythme ; il ne l’est pas à la mesure, j’entends à la mesure isochrone de la musique moderne. Rythme souple, aisé, modéré, qui va, qui marche toujours sans traîner jamais ni jamais courir. « Toutes les combinaisons lui sont bonnes, pourvu qu’elles soient proportionnées et harmonieuses. Et cette proportion, dit très bien Dom Pothier, repose sur le rapport que les parties qui composent le chant ou le discours ont soit entre elles, soit avec le tout[1]. » C’est à ce point de vue du rythme, que certains auteurs ont pu le mieux établir une distinction générale entre la musique grégorienne, « naturelle et libre », et l’autre musique, celle qu’ils ont appelée avec raison la musique mesurée, mais qu’avec trop de rigueur ils ont traitée aussi de musique artificielle.

Naturel et libre, tel est bien le rythme du chant grégorien. Les notes ici ne possèdent pas une valeur fixe et mesurable ; elles ne déterminent pas avec une rigueur mathématique la durée du son. La phrase mélodique ne se divise, ne s’équilibre et ne s’organise pas d’après une mesure inflexible, mais suivant l’organisme et les divisions du texte littéraire. Les pauses mêmes jouissent d’une indépendance pareille à celle des notes, et le silence, dans l’art grégorien, n’est pas moins libre que le son. Rien ici ne sent la tyrannie, la contrainte, ou seulement la gêne ; tout respire au contraire la facilité, la souplesse, on dirait presque le loisir. Tant de liberté pourtant ne dégénère jamais en licence. Le rythme n’est pas absent ; il subsiste, il est sensible, mais il échappe à la convention et se rapproche, autant qu’il est possible, de la nature.

On l’ajustement remarqué : « Il y a deux espèces de rythme : le rythme naturel, fondé sur les lois de la nature, et le rythme artificiel, basé sur les lois conventionnelles de la mesure… » De ces lois, « les unes sont le résultat d’un calcul mathématique, d’une combinaison artificielle due au génie de l’homme obéissant d’ailleurs aux principes d’ordre et d’harmonie que le Créateur a mis dans l’univers ; les autres, au contraire, dépendent de la force productrice de la nature, qui crée elle-même ses propres formes et ne les emprisonne dans aucun moule, afin qu’elles conservent leur valeur ; elles échappent à toute limite conventionnelle, à tout calcul humain… Que nous entendions débiter un discours ou déclamer une pièce devers, nous éprouverons également cette impression agréable qui naît d’un rythme régulier, et cependant

  1. Dom Mocquereau, Conférence faite à l’Institut catholique.