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printemps, de jeunesse, peut-être de folie. Et maintenant, volontairement captives, les voilà confondues dans un seul cantique sacré. Elles ont tout apporté, tout exhalé, tout sacrifié ici : leurs caresses et leurs soupirs, les éclats de leur joie ou de leur colère, les menaces dont elles furent vibrantes et les sanglots dont elles furent brisées. Parfois dans leur parfait ensemble, comme dans le son d’une cloche, fût-ce la plus pure, on croit saisir des harmoniques mystérieuses : une inflexion particulière, une intonation personnelle, que sais-je ! un accent plus doux ou plus fort, un souffle plus profond ou plus léger. Mais on ne le croit pas longtemps. Bientôt tout retombe, s’efface et se noie dans l’unique et totale cantilène. Elle ressemble à la mer, mais à la mer parfaitement unie et plane, dont on ne peut distinguer les flots.

C’est un grand exemple social que la symphonie, effort commun vers un seul but et sous une seule loi. Si le musicien est un maître, cet effort ne sera pas trompé. On en prévoit le terme ; mais d’abord il en faut suivre le progrès, parfois même subir les arrêts ou les reculs. Parmi tant de forces ou de volontés unies et diverses, il en est qui défaillent, d’autres qui s’égarent ou même se révoltent. Des contradictions se produisent ; des plaintes aussi, des dissonances et des déchiremens. Tout cela est pathétique, tout cela est beau, parce que tout cela sera résolu, rétabli et rassemblé. Fermement proposée d’abord, puis contrariée en vain, obstinément voulue et poursuivie jusqu’au bout, l’unité finira par être atteinte et réalisée ; elle formera le gain et la conquête suprême de la symphonie triomphante.

Cette unité, la monodie grégorienne n’a pas à la conquérir. Elle la possède éternellement, sans trouble, sans menace et sans combat. Il n’y a pas ici plusieurs voix qui finiront par s’unir ; il n’y a jamais eu, jamais il n’y a et il n’y aura qu’une seule voix. Pas d’effort, pas de tendance, pas de devenir ; mais l’être, l’être toujours total et toujours un. Et l’unité du chant grégorien ne représente pas seulement l’unité des hommes entre eux, mais celle de l’homme en lui-même, son unité spirituelle et intérieure. Loin de diviser l’âme, cet art la rassemble toute. Il la fait concorder et concourir en toutes ses parties et de toutes ses forces. Il est ainsi l’expression moins de ce que nous sommes que de ce que nous étions avant la faute et de ce que nous redeviendrons après la miséricorde. Il répare notre condition primitive et prépare notre condition future. « Qu’ils soient un comme mon Père et