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nullement relevé sur les bords, comme le sont les toits des temples et des grands édifices. Point de mouvement dans la rue : des enfans devant les portes, des chiens errans, parfois un coolie ou un vendeur ambulant, leurs deux paniers suspendus à l’habituelle perche de bambou passée sur l’épaule, rarement une charrette ou un âne de bât. On serait tenté de se croire dans un immense village.

La scène change entièrement quand on regarde Pékin du haut des murailles qui en forment de beaucoup la plus agréable promenade et au sommet desquelles ne montent ni la poussière, ni la boue, ni les odeurs de la ville. On ne voit plus alors que des arbres : chaque habitation en a un dans sa cour, qui en forme l’ornement avec quelques pots à fleurs, mais qu’on aperçoit à peine de la rue étroite, parce qu’il y a trop peu de recul. Des murs, au contraire, ce sont les petites maisons qui disparaissent et Pékin apparaît alors comme un immense parc au milieu duquel font saillie les toits jaunes du palais impérial, une butte boisée, dite la Montagne de Charbon, surmontée d’une pagode, vers l’extrémité nord de la ville, et de rares grands édifices. Ceux-ci sont peu nombreux dans l’enceinte même de Pékin et les étrangers ne peuvent pénétrer dans presque aucun. Il y a vingt-cinq ou trente ans, on les admettait dans l’enceinte d’un assez grand nombre de temples : le Temple du Ciel aujourd’hui en reconstruction et où l’empereur lui-même va sacrifier chaque année au solstice d’hiver, ceux du Soleil, de la Lune, de l’Agriculture ; il était même possible d’arriver à voir certaines parties des jardins du palais. C’était l’effet de la crainte salutaire inspirée aux Célestes par l’entrée de l’armée anglo-française à Pékin en 1860. A mesure qu’on s’est éloigné de cet événement, la leçon a été peu à peu oubliée avec la facilité qu’ont les Chinois pour ne pas se souvenir de ce qui a blessé leur orgueil ; il semble qu’aujourd’hui le peuple ajoute foi à la fable officielle inventée pour « sauver la face, » et d’après laquelle l’empereur Hien-Feng, fuyant en réalité devant les troupes alliées, se serait simplement rendu à son parc de Djohol en Mongolie, pour une partie de chasse ; l’insolence habituelle avait complètement reparu, lorsque le bruit des victoires remportées par les Japonais et la crainte de voir l’armée du Mikado entrer dans la capitale sont venus de nouveau améliorer la position des étrangers.

Lorsque je me trouvais à Pékin, il y a un an, il était rare que