Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/324

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

golfe du Petchili, chemin de la capitale, situé pourtant plus près de l’équateur que la baie de Naples ou l’embouchure du Tage, la Chine semble vraiment repousser l’étranger.

Du mouillage, en dehors de la barre, c’est à peine si l’on aperçoit la côte, tant elle est basse. Lorsque enfin on peut entrer, on distingue des forts de boue, des maisons de boue dans les villages, d’innombrables tas de boue, marquant les tombes des cimetières : c’est Takou ; un peu plus haut, à Tangkou, le Peïho cesse d’être navigable aux bâtimens de quelque importance. Au débarqué, une surprise vous attend : le chemin de fer. Commencé par Li-Hung-Chang, pour permettre l’exportation du charbon de ses mines de Kaïping, à quelques lieues au nord-est, il a été prolongé de divers côtés, et depuis l’été de 1897, il conduit à Pékin par Tien-tsin. Une heure et demie après avoir quitté Tangkou, je descendais dans cette dernière ville, au milieu d’une nuée de coolies qui s’élancent à l’assaut de mes bagages. La traversée du Peïho faite en sampang, pour ne pas s’entasser sur un bac encombré qui ne porterait pas moitié autant d’Européens qu’il contient de Célestes serrés les uns contre les autres et immobiles dans les positions en apparence les plus incommodes, ensuite une course rapide en djinriksha, au trot d’un Chinois, à travers la Rue de France, puis la Victoria Road, et me voici à l’Astor house, un hôtel à l’Américaine, tenu par un Allemand ; en face, un jardin, où un drapeau blanc taché d’un cercle rouge, emblème du soleil levant, surmonte le consulat du Japon. Je suis ainsi initié dès la première heure au cosmopolitisme d’une concession étrangère en Extrême-Orient.

Tien-tsin est le plus grand port ouvert de la Chine du Nord, et, dans l’ensemble du Céleste Empire, il vient au troisième rang pour l’activité de son commerce extérieur. C’est aussi une immense ville chinoise de près d’un million d’habitans. Mais sa concession européenne ne vaut pas celle de Shanghaï ; comme cité indigène, elle n’est aussi que d’un intérêt médiocre et le cède de beaucoup à Pékin, à Canton et à bien d’autres villes. C’était là que commençait le long et désagréable voyage qu’il fallait faire autrefois pour atteindre la capitale : on y arrivait soit par terre en deux journées de cheval, soit par le Peïho. Tantôt à la voile et tantôt à la rame, tantôt halées à bras d’hommes, les jonques remontaient tant bien que mal, et plutôt mal que bien, le cours sinueux du fleuve, le plus souvent en deux ou trois jours,