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ou partage de la Chine entre les diverses puissances, à la suite d’une entente ou d’une guerre qui ne manquerait pas de devenir universelle, ou encore rénovation du plus vieil État du monde par l’adoption des idées et des méthodes de l’Occident, lutte économique entre la race blanche et la race jaune, il serait présomptueux et vain de vouloir prophétiser dès aujourd’hui tous les développemens qu’est susceptible de prendre la question d’Extrême-Orient. Mais on peut tenter, au moment où elle se pose pour la première fois d’une manière pressante, d’en déterminer les multiples élémens, d’étudier la position relative à l’heure actuelle et les perspectives prochaines de l’action des divers facteurs. C’est ce qu’on essaiera de faire ici en commençant par le patient, autour duquel se pressent tant de médecins et d’héritiers, par la Chine elle-même.


II

La première vue de la Chine n’est guère attrayante, lorsque, venant de la Sibérie orientale, on y arrive par le golfe du Petchili après une longue navigation autour de la presqu’île Coréenne. Après le beau port naturel de Vladivostok, après cette merveilleuse rade de Nagasaki, tout enfouie dans la verdure, où les gracieux pins du Japon, qui couvrent les îles rocheuses, s’inclinent sur l’eau profonde et bleue, où les grands bâtimens de guerre et de commerce sont ancrés tout près des rives, au milieu d’un va-et-vient de jonques aux voiles blanches, c’est une impression de tristesse, presque un serrement de cœur qu’on éprouve en jetant l’ancre à plusieurs milles de l’embouchure du Peï-ho, pour attendre, au milieu d’une mer toute jaunie de la boue que charrie le fleuve, le moment où la marée permettra de franchir la barre. Presque tous les ports du Céleste Empire sont ainsi faits ; on ne peut y pénétrer que pendant quelques heures au voisinage de la pleine mer : même l’entrée de l’immense fleuve Bleu est encombrée de hauts-fonds ; son rival, le fleuve Jaune, se divise dans son cours inférieur en une telle multitude de chenaux, divaguant parmi les terres marécageuses, que toute liaison y est rompue entre la navigation fluviale et la navigation maritime. Avec ses estuaires envasés, les tempêtes qui assaillent ses côtes, les brumes qui les cachent souvent, les glaces qui viennent fermer l’hiver ce