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l’hiver dernier. L’Allemagne, la France, l’Angleterre se sont fait « céder à bail » des points d’appui maritimes, et reconnaître des « sphères d’intérêts. » La Russie est revenue au jeu et le Japon s’en est aussi mêlé. L’auteur de cette étude se trouvait en Extrême-Orient où il est resté du mois de septembre 1897 au mois d’avril dernier, pendant que se déroulaient tous ces événemens. Il a pu s’entretenir avec des hommes qui y ont été intimement mêlés, et fréquenter ceux qui connaissent le mieux la Chine aux points de vue les plus divers et y séjournent depuis le plus longtemps : missionnaires, négocians, personnages officiels ; il a pu compléter ainsi ses propres observations et s’est efforcé de se rendre compte des termes dans lesquels se pose la difficile question d’Extrême-Orient. Il s’écoulera sans doute assez longtemps avant qu’elle ne soit réglée.

On aurait certes surpris les hommes du début de ce siècle en leur disant qu’il finirait avant que le Turc fût chassé d’Europe, et cependant les destinées de l’Orient méditerranéen sont bien loin encore d’être fixées. Les problèmes que soulève l’avenir du Céleste Empire ne sont ni moins graves ni moins compliqués : infiniment moins hétérogène que la Turquie, la Chine n’en a pas moins à craindre comme elle des troubles intérieurs ; elle est gouvernée par une dynastie étrangère et rongée de sociétés secrètes ; le gouvernement central est faible et les diverses parties de cet immense ensemble paraissent avoir bien peu de cohésion. D’autre part, les rivalités des puissances européennes, auxquelles il faut joindre les Etats-Unis et le Japon, ne sont pas moins vives à l’est qu’à l’ouest de l’Asie. Le seul résultat qui soit à peu près définitivement obtenu, grâce aux événemens des cinq dernières années, la fin de l’isolement de la Chine, qui avait toujours vécu absolument à l’écart de l’Europe, la mise en contact, pour la première fois depuis les origines de l’histoire, de cette énorme agglomération d’hommes avec une civilisation qui s’était développée sans aucun lien avec la leur depuis six mille ans, soulève un redoutable inconnu. Si le manque de vertus militaires chez les Chinois et l’insuffisance du nombre chez les Japonais, rendent peu redoutable le péril jaune au point de vue guerrier, beaucoup de gens et parmi eux les représentans les plus hardis de la civilisation occidentale, les Américains, les Australiens, s’en préoccupent au point de vue économique.

Dislocation du Céleste Empire à la suite de troubles intérieurs