Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/321

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au plus les trois quarts du nombre de ses habitans, dont les populations sont bien plus molles et le sous-sol, sinon le sol, bien moins riche, fait un commerce extérieur double de celui du Céleste Empire. Le Japon, neuf fois moins étendu et moins peuplé que la Chine, transformé par un gouvernement éclairé et l’introduction des méthodes européennes, a vu le chiffre de ses échanges s’élever en trente ans de 130 à 950 millions de francs, plus des deux tiers de celui de son énorme et stationnaire voisine. Beaucoup plus que les préjugés du peuple chinois, c’est la résistance à tout progrès, et l’imbécillité du gouvernement le plus corrompu et le plus orgueilleux qui soit, qui empêchent le pays de se développer. Aussi longtemps qu’on a pu se faire illusion — sinon sur la bonne volonté de ce gouvernement, du moins sur sa puissance, — on n’a pas tenté de lui arracher de force ce qu’on ne pouvait en obtenir de bon gré ; on s’est résigné à laisser dormir les immenses ressources de l’intérieur, pour su contenter de l’ouverture de quelques ports au commerce étranger. Mais, en 1894, les brillantes victoires du Japon révélèrent au monde stupéfait la faiblesse du colosse, la corruption qui le ronge, son incapacité à se régénérer de lui-même ; et c’est ce qui fait de cette guerre d’Extrême-Orient un événement capital de l’histoire. Dès lors, l’attitude des nations étrangères a changé : elles exigent aujourd’hui bien plus qu’elles ne demandaient autrefois. Elles prétendent obliger le Fils du Ciel à mettre en valeur les richesses de son empire, ou à les laisser le faire à sa place ; si elles ne se partagent pas son territoire, elles prennent hypothèque sur les diverses provinces ; elles s’y font accorder des concessions de mines, de chemins de fer, de toute sorte d’entreprises. Aux yeux des puissances, la Chine n’est plus une force à ménager, une alliée éventuelle même, mais une proie, ou un pays qu’on espère réduire à une sorte de vasselage.

Inaugurée en 1895, dès le lendemain de la guerre, par la Russie, qui était la seule nation européenne à soupçonner la faiblesse de la Chine et se préparait déjà par la construction du Transsibérien à y jouer un rôle particulièrement actif, la nouvelle politique de l’Europe à l’égard du Céleste Empire s’est accentuée