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seulement le vieux roi, mais dans sa personne la dynastie tout entière. Aussi, j’étais à peine compris du duc de Montpensier quand je lui exposais la profondeur de mes inquiétudes pour le lendemain ; je ne pressentais certes pas la proclamation de la république ; l’idée même ne m’en vint pas un seul instant à l’esprit dans mon entretien avec le prince ; mais je croyais aux plus graves désordres et, dans ce qui se passait au moment même où nous parlions, dans les efforts faits pour égarer la population de Paris et provoquer l’abandon du gouvernement par la garde nationale, je voyais un signal avant-coureur de tentatives coupables et de guerre civile. Dans cette disposition d’esprit, je ne craignis pas d’exprimer au prince ma surprise de ne pas le voir retourner à Vincennes, où il pouvait si utilement servir la cause de la royauté, et donner une force de plus au gouvernement dans une place si facile à préserver des attaques et qui avait eu jadis l’bonneur de défendre la patrie contre l’étranger et l’ordre intérieur contre les démagogues. « C’est trop de prévisions sinistres, me dit le prince ; Duchamp est là qui suffirait à tout, et, Dieu merci, nous ne sommes pas encore obligés de nous enfermer dans Vincennes pour nous défendre. » Triste discours qui ne pouvait ni modifier en rien mes prévisions trop justifiées, ni me rassurer par le nom du général dans lequel il plaçait une si grande confiance, général non moins brave que Jacqueminot, mais qui n’avait pas plus que lui le calme et le sang-froid, seules garanties du succès dans le commandement !

À ce moment, Thiers arriva ; j’allai vivement au-devant de lui :

« Le roi vous a fait appeler, mon cher Thiers, avec la pensée d’accepter, en définitive, toutes les conditions que vous jugerez indispensable de lui faire. Une seule prière, en passant, de votre ancien collègue qui vous demande de ménager le roi, au nom des sentimens qui vous sont communs sur tant de points.

— Je ferai pour le mieux, autant que me le permettra mon devoir, » me répondit Thiers avec un accent bref et agité.

J’attendis, non sans anxiété, l’issue de la conférence du roi et de M. Thiers ; elle dura une demi-heure environ, après laquelle j’abordai de nouveau mon ancien président du conseil de 1836 :

« Eh bien ! me dit-il, je ne suis pas absolument d’accord avec le roi sur tous les points ; mais cela viendra, et, en attendant, j’ai accepté.