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cord en fait ? Nous n’avons jamais exprimé l’intention de rester à Fachoda, où les Anglais ont de très grands intérêts et où nous en avons de très modestes : toute la question est de savoir dans quelles conditions nous en sortirons, et il nous semble dès lors qu’une entente n’est pas impossible. Elle aurait même été facile, si l’opinion chez nos voisins avait toujours gardé le même sang-froid que chez nous : malheureusement, il n’en a rien été. La dernière conversation entre lord Salisbury et M. de Courcel, — nous parlons de celle qui est relatée dans les documens diplomatiques, car celles qui ont pu suivre sont encore secrètes, — semble avoir eu une importance plus grande que les précédentes, et qui peut devenir décisive. M. de Courcel dit que lord Salisbury l’a pressé de faire des propositions, si ses instructions l’y autorisaient, tandis que lord Salisbury dit que M. de Courcel a fait des propositions spontanément. Qu’importent ces distinctions ? Les propositions ont été faites et elles n’ont pas été déclinées. Lord Salisbury les a écoutées, au contraire, avec une grande attention et a promis d’en délibérer avec ses collègues dans un prochain Conseil des ministres. Ou les apparences sont trompeuses, ou cela ressemble à un commencement de négociation. Mais les choses s’arrêtent là, et notre crise ministérielle retardera fatalement de quelques jours une solution qui serait pourtant si urgente.

Il ne faut pas se faire d’illusion : l’avenir reste très précaire. L’opinion anglaise ne désarme pas, et le gouvernement ne se sent pas la force de la conduire. Il vit tout entier dans le présent et ne parait pas se rendre compte des responsabilités du lendemain. En attendant les événemens, que nous aurons tout fait pour conjurer, détournons les yeux des tristesses présentes et peut-être futures, pour les reporter sur ce qui est de nature à nous réconforter.

Le dernier Livre Bleu a publié des documens qui font le plus grand honneur au commandant Marchand. Dans une situation dont les Anglais exagèrent peut-être les difficultés, mais qui est certainement difficile et pénible, notre compatriote a montré une présence d’esprit et une fermeté de caractère admirables. Sa correspondance et sa conversation avec le général Kitchener sont relatées dans des termes où nous ne voudrions pas changer un mot. Le commandant Marchand n’a pas hésité, au nom de la civilisation, à féliciter le sirdar de sa victoire d’Omdurman, et il a parlé modestement de ses propres travaux : le seul mérite qu’il s’est attribué est d’avoir fidèlement rempli les instructions qu’il avait reçues. On lui avait dit d’aller à Fachoda, il y était allé. Arrivé là, il a eu à repousser une attaque des Mahdistes, et