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I

Cl. Bernard disait ici même, à propos de la vie, qu’il était impossible d’en donner une définition scientifique et qu’au surplus dans les sciences de la nature il ne pouvait pas y avoir de définition. Et cela est vrai, par conséquent, non seulement de la vie, mais de la nutrition et en particulier des alimens. Tous les physiologistes et les médecins qui ont essayé de définir l’aliment, y ont échoué. La plupart des définitions vulgaires ou savantes, font intervenir la condition, pour la substance, d’être introduite dans l’appareil digestif. C’est exclure, du coup, parmi les êtres qui s’alimentent, les végétaux et tous les animaux privés de tube intestinal ; et d’autre part, c’est retrancher du nombre des alimens toutes les substances qui entrent par une autre voie que l’estomac et qui, comme l’oxygène par exemple, participent cependant, au plus haut degré, à l’entretien de la vie.

Le trait distinctif de l’aliment, c’est l’utilité dont, convenablement employé, il peut être à l’être vivant. Substance nécessaire à l’entretien des phénomènes de l’organisme sain et à la réparation des pertes qu’il fait constamment, dit Cl. Bernard ; — substance qui apporte un élément nécessaire à la constitution de l’organisme, ou qui diminue sa désintégration (aliment d’épargne), suivant le physiologiste allemand Voit ; — substance qui contribue à assurer le bon fonctionnement de l’un quelconque des organes d’un être vivant, suivant la définition infiniment trop étendue de M. Duclaux ; — toutes ces manières de caractériser l’aliment en donnent une idée incomplète.

L’introduction de la notion d’énergie en physiologie a mieux fait comprendre la vraie nature de l’aliment. Il faut, en effet, recourir à la conception énergétique pour se rendre compte de tout ce que l’organisme exige de l’aliment. Il ne lui demande pas seulement de la matière, mais aussi et surtout de Y énergie. Les naturalistes s’attachaient jusqu’ici exclusivement à la nécessité d’un apport de matière, c’est-à-dire qu’ils n’envisageaient qu’un côté du problème. Le corps vivant présente en chacun de ses points une série ininterrompue d’écroulemens et de réédifications, dont les matériaux sont puisés au dehors par l’alimentation et y sont rejetés par l’excrétion. Cuvier appelait tourbillon vital cet exode incessant de la matière ambiante à travers le monde vital ; il en