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transformations ; de fixer la ration d’entretien chez le sujet au repos et la ration d’activité chez celui qui travaille ; de déterminer les effets de l’inanition, de l’alimentation insuffisante, de l’alimentation surabondante, en un mot, de dévoiler les réactions les plus intimes et les plus délicates par lesquelles l’organisme s’entretient et se répare, et, pour répéter l’expression d’un célèbre physiologiste, de pénétrer jusque dans « la cuisine des phénomènes vitaux. » Ce n’est ni Apicius, ni Brillat-Savarin, ni Berchoux, ni les moralistes ou les économistes qui peuvent nous y servir de guides. Il faut nous adresser aux savans qui, à l’exemple de Lavoisier, Berzelius, Regnault, Liebig, ont appliqué à l’étude des êtres vivans les ressources de la science générale et fondé ainsi la chimie biologique.

Cette branche de la physiologie a pris un développement considérable dans la seconde moitié de ce siècle ; elle a maintenant ses méthodes, sa technique, ses chaires dans les Universités, ses laboratoires et ses recueils. Elle s’est particulièrement appliquée à l’étude des « échanges matériels » ou métabolisme des êtres vivans ; et pour cela, elle a fait deux choses. Elle a d’abord déterminé la composition des matériaux constitutifs de l’organisme ; puis, analysant qualitativement et quantitativement tout ce qui y pénètre dans un temps donné, c’est-à-dire tous les ingesta alimentaires ou respiratoires, et tout ce qui en sort, c’est-à-dire toutes les excrétions, tous les egesta, elle a pu établir les bilans nutritifs qui correspondent aux diverses conditions de la vie, soit naturelles, soit artificiellement créées. On a pu dire ainsi quels étaient les régimes alimentaires qui se soldaient en bénéfice et quels autres en déficit, et quels enfin amenaient l’équilibre.

Nous ne nous proposons pas de rendre un compte détaillé de ce mouvement scientifique. C’est le rôle des ouvrages spéciaux. Nous voulons seulement indiquer ici les résultats les plus généraux de ces laborieuses recherches, c’est-à-dire les lois et les doctrines où elles aboutissent, les théories qu’elles ont suscitées. C’est par-là seulement qu’elles se rattachent à la science générale et qu’elles peuvent intéresser le lecteur. Les faits de détail ne manquent jamais d’historiens ; il est d’ailleurs plus profitable de montrer le mouvement des idées. Les théories de l’alimentation mettent aux prises des conceptions très différentes du fonctionnement vital. Il y a là une mêlée assez confuse d’opinions qu’il n’est pas sans intérêt d’essayer d’éclaircir.