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Alors Gordon, qui en toute cette affaire semble avoir agi fort légèrement, déclare Soliman rebelle et envoie dans le Bahr-el-Ghasal son ancien lieutenant dans la province équatoriale, Romolo Gessi, qui attaque Soliman, le bat, s’empare de sa citadelle Dem Ziber, le pourchasse et le réduit à merci. Soliman consent à se rendre, moyennant la garantie de la vie sauve pour lui et ses compagnons. Mais, tant qu’il respire, la haine des Dongolais reste inassouvie ; exploitant habilement des apparences trompeuses, ils persuadent à Gessi que Soliman a disposé une embuscade. Ce dernier, indigné d’être injustement accusé de trahison, se défend avec emportement. La discussion s’échauffe, tant qu’enfin, perdant tout sang-froid, Gessi sort de la hutte en ordonnant aux Dongolais de passer par les armes Soliman et ses compagnons. Avant même qu’il ait eu le temps de se reprendre, l’ordre était exécuté (15 juillet 1879).

Gessi gouverna pendant quinze mois le Bahr-el-Ghasal et partit pour l’Egypte à la fin de l’année 1880. Pendant son voyage de retour il fut victime d’une aventure tragique : une banquise d’herbes flottantes immobilisa son bateau pendant plusieurs semaines au confluent du Bahr-el-Ghasal et du Nil Blanc. Quand, grâce à des secours venus de Khartoum, Gessi eut réussi à se dégager, il était exténué de misère et de fatigue : il vint mourir à l’hôpital français de Suez. Le gouvernement de la province resta vacant une année entière jusqu’au moment où un Anglais, Lupton Bey, naguère le second d’Emin à Lado, en prit possession.

Ce bref récit de l’histoire du Bahr-el-Ghasal suffit à prouver combien l’occupation égyptienne y fut superficielle. Le gouvernement ne connut jamais les limites de sa domination, ni à l’ouest, ni au sud. On peut approximativement tracer les frontières de la province équatoriale, mais non celles du Bahr-el-Ghasal. Tant que Ziber, et même Soliman gouvernèrent le pays, l’autorité du khédive d’Egypte y fut toute nominale. C’était à Ziber, qui les avait soumis, ou à son fils, que les nègres obéissaient et payaient des impôts, mais point du tout au moudir égyptien.

Gessi inaugura un système tout nouveau de gouvernement. Il essaya de se passer du concours des Dongolais et d’avoir des rapports directs avec les chefs nègres. L’application de cette politique dura trop peu de temps pour qu’on ait pu apprécier ses résultats.