Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réitérées du khédive, et accepta le poste de gouverneur général du Soudan égyptien. Dès son arrivée à Khartoum, il eut donc à nommer son successeur dans la province équatoriale, qui en dépendait. Il fut d’abord malheureux dans ses choix, et, en moins de dix-huit mois, quatre personnes se remplacèrent successivement à Lado : deux officiers de l’armée américaine, Prout et Mason d’abord, puis deux Arabes : Koukouk Aga et Ibrahim Fauzi. Enfin Gordon appela au gouvernement de la province équatoriale un homme qui, par ses aventures, par l’originalité même de sa personnalité, par ses travaux scientifiques, attira l’attention du monde civilisé sur cette partie de l’Afrique, à laquelle jusqu’alors quelques géographes seuls s’étaient intéressés : nous avons nommé Emin[1]. Il était depuis deux ans sur le Haut Nil, où il exerçait à Lado les fonctions de médecin et de chef du magasin. Il avait aussi rempli plusieurs missions, dans l’Ouganda et dans l’Ounyoro. L’explorateur russe Junker, l’homme, sans doute, qui a le mieux connu Emin, et qui l’a aussi beaucoup aimé, sans laisser cependant son affection nuire à sa clairvoyance, lui reproche son manque de discernement dans le choix des hommes, Il s’entourait maladroitement, prêtait l’oreille à des insinuations calomnieuses, accordait sa confiance à des coquins et, pour leur complaire, sacrifiait des serviteurs éprouvés. Junker l’accuse encore d’un goût excessif pour les détails oiseux. Emin transportait dans l’administration ses habitudes de naturaliste méticuleux. Il attachait une importance extrême à la stricte observation de toutes les règles administratives. « C’était, disait Junker, un homme de divan. »

On doit ajouter que le géographe et le naturaliste nuisirent quelque peu au gouverneur. Certes ce n’est pas nous qui nous plaindrons du dédoublement étrange de cette existence, et nous nous félicitons bien au contraire que le docteur Edouard Schnitzer ait continué à observer et à écrire pendant qu’Emin bey administrait. Nous savons trop ce que la littérature géographique

  1. Emin, de son vrai nom Edouard Schnitzer, naquit en 1840 à Neisse en Silésie. Il était d’origine israélite, mais sa mère, devenue veuve, ayant épousé en secondes noces un protestant, se convertit et fit baptiser son fils. Éd. Schnitzer suivit les cours des Universités de Breslau, de Berlin et de Kœnigsberg. Docteur en médecine en 1863, il partit pour la Turquie l’année suivante. Il revint en Allemagne en 1875, y séjourna seulement quelques mois et arriva au Caire le 23 octobre. Il ne quitta plus désormais le sol de l’Afrique et fut assassiné non loin de la rive droite du Congo, le 23 octobre 1892.