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Europe, je m’entendais qualifier d’évêque tant soit peu dangereux, parce que j’étais un évêque démocrate, un évêque républicain ; on me prenait presque pour un hérétique. On me disait peut-être : Ces idées vont bien là-bas, parce que les Américains ne sont pas encore bien civilisés. Cette fois-ci, en arrivant à Rome, j’entends dire du sommet du Vatican : « De toutes les formes de gouvernement que l’Eglise a reconnues et dont elle a fait l’essai, elle ne saurait dire jusqu’ici celle dont elle a reçu le plus de mal ou le plus de bien. Maintenant elle fera l’essai sérieux de la forme républicaine. » Et moi, comme Américain, je lui dis : « Vous réussirez. » Ces paroles, assurément, ne sauraient étonner aucun catholique et elles sont conformes à l’enseignement constant de l’Eglise. Dieu ne fait point acception de personnes, et il prend en sa protection tous les gouvernemens légitimes « en quelque forme qu’ils soient établis. » C’est ce que le Pape Léon XIII, avec autant de clarté que de force, a pris soin de rappeler en plusieurs occasions mémorables. Le catholicisme, en soi, n’a rien d’incompatible même avec la démocratie : Patet ex Apostolicæ Sedis actis catholicam Ecclesiam nihil in sua constitutione et doctrinis habere quod ab aliqua abhorreat reipublicæ forma[1]. Mais, en France même, on ne peut pas dire que l’expérience en eût été faite ; on n’avait pas vu dans l’histoire de grande république ni surtout de grande démocratie catholique ; aucun évêque n’avait mis ni pu mettre dans son langage à ce sujet ce que l’archevêque de Saint-Paul a mis dans le sien d’accent personnel, et c’est le point sur lequel il convient d’insister.

Ni le catholicisme n’a rien à craindre de la liberté, ni la liberté du catholicisme, voilà ce que l’expérience américaine a prouvé. Sous le régime de la liberté, en pays protestant, sur le sol où le puritanisme semblait avoir établi son empire, dans les États déserts du Wyoming et de l’Idaho, comme dans les États populeux de New-York et du Massachusetts, dans les campagnes comme dans les villes, si d’autres confessions ont fait autant de progrès que le catholicisme, aucune n’en a fait davantage. Les catholiques, ne sont qu’une trentaine de mille dans l’Orégon : c’est que la population n’y dépasse guère 3 00000 âmes ; mais le Massachusetts compte environ 2 500 000 habitans, et les catholiques, au nombre de 800 000, en forment donc le tiers. Ils n’ont point demandé de

  1. Lettre à l’évêque de Saint-Flour, du 28 novembre 1890. Voyez aussi l’Encyclique Libertas, du 20 juin 1888.