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cette Constitution qu’ils ont triomphé des préjugés de leurs compatriotes. Comment n’attendraient-ils pas de cette politique autant de fruits dans l’avenir qu’ils en ont déjà recueillis dans le passé ! et qu’y a-t-il là qui ressemble à ce « libéralisme, » dont le premier article était précisément l’entière séparation du domaine de l’homme et de celui de Dieu ?

Et ils n’avaient pas non plus de raisons de repousser ce qu’il peut y avoir de « démocratique » dans la Constitution ou dans les mœurs de leur pays, si, de tous les titres que son histoire lui a mérités, l’Eglise, comme l’a dit le cardinal Gibbons, n’en a pas de plus glorieux que celui d’amie du peuple. On n’a pas oublié la généreuse intervention du cardinal Gibbons dans l’affaire des Chevaliers du travail, et comment, — soutenu dans cette intervention par « soixante-dix » évêques d’Amérique sur « soixante-seize » qu’il y en avait alors, — il a réussi à écarter d’une association d’ouvriers l’excommunication dont elle était menacée. Ici encore son langage était ensemble d’un catholique et d’un Américain : d’un Américain, quand il disait, que « les grandes questions de l’avenir ne seraient plus des questions de guerre, de commerce ou de finances, mais des questions sociales, concernant l’amélioration du sort des grandes multitudes populaires, et, en particulier des classes ouvrières ; » et son langage était d’un catholique, lorsqu’il ajoutait, « qu’il était d’une importance capitale pour l’Église de se ranger constamment et avec fermeté du côté de l’humanité et de la justice à l’égard des masses qui composent la famille humaine. »

Sera-t-il inopportun de rappeler que, dans le même temps, et à l’occasion des mêmes Chevaliers du travail, un autre prince de l’Eglise et un autre Anglo-Saxon, le cardinal Manning, s’exprimait dans les mêmes termes : « Le Saint-Siège doit désormais correspondre avec le peuple, écrivait-il, ou au moins avec des évêques en rapports constans, directs et personnels avec le peuple… A aucune époque, l’Episcopat n’a été aussi affranchi du pouvoir civil, aussi solidaire du Saint-Siège et aussi uni qu’à présent. Reconnaître ce fait évident et s’en servir, c’est une force. » On ne saurait assurément mieux dire. Pour être « démocratique » et « populaire » l’Eglise catholique n’a qu’à se souvenir de ses origines ; que pendant plus de cent ans, — oui, Voltaire a eu raison de le dire, et nous, il ne faut pas nous lasser de le redire — ses catacombes n’ont été fréquentées que « par la plus vile canaille, » des esclaves,