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rang de ceux qu’on appelle ou qui s’appellent eux-mêmes les « Américanistes » : le premier recteur de l’Université catholique de Washington, Mgr Keane ; et l’archevêque de Baltimore, primat d’Amérique, l’illustre cardinal Gibbons[1].

C’est vers la même époque, entre 1791 et 1800, que deux autres Français, eux aussi chassés de France par la Révolution, l’abbé Matignon, ancien professeur en Sorbonne, où il avait longtemps enseigné les Saintes Écritures, et l’abbé Jean-Louis-Anne-Madeleine Lefebvre de Cheverus, — le même qui fut plus tard archevêque de Bordeaux, pair de France et cardinal, — entreprenaient de « planter » le catholicisme à Boston, c’est-à-dire au centre même de la Nouvelle-Angleterre et du puritanisme. Et aussitôt, dans un diocèse qui ne compte pas aujourd’hui moins de 600 000 catholiques sur 1 800 000 âmes, ou environ, ils en réunissaient autour d’eux, pour commencer… une centaine[2] ! Si la tâche fut pénible, le succès du moins les en récompensa, et assez rapidement, puisqu’on 1808, Boston était un des quatre nouveaux diocèses que le pape Pie VII instituait en Amérique. Les trois autres étaient ceux de New-York, de Bardstown en Kentucky (transféré depuis 1841 à Louisville), et de Philadelphie. Il y faut ajouter l’évêché de la Nouvelle-Orléans, devenu américain depuis l’annexion de la Louisiane en 1803. Celui-ci demeura sous l’administration de l’archevêque de Baltimore, de 1809 à 1815, c’est-à-dire jusqu’à la nomination de Mgr Dubourg, — un autre Français, qui devait mourir archevêque de Besançon ; — et sur les quatre évêchés institués en 1808, il y en avait deux d’attribués à des Français, celui de Boston à Mgr de Cheverus et celui de Bardstown à Mgr Flaget.

Ces détails n’étaient pas inutiles à rappeler, quand ce ne serait que pour les opposer à l’assertion du publiciste anglais bien connu, M. J. Bryce, déclarant « que la France n’était pour rien dans la vie intellectuelle et morale de l’Amérique. » Il aurait changé de langage, comme l’a fait justement observer le vicomte de Meaux, dans son livre sur le Catholicisme et la liberté aux États-Unis[3],

  1. Memorial volume of the Centenary of St Mary’s Seminary of Saint Sulpice, 1 vol. in-8o ; Baltimore, 1891, John Murphy.
  2. Il ne sera peut-être pas indiffèrent de noter que, dans les sept évêchés de Boston, Burlington, Hartford, Manchester, Portland, Providence et Springfield, qui couvrent à peu près la surface de la Nouvelle-Angleterre, la proportion des catholiques aux protestant est de 1 525 000 à 4 700 000.
  3. Vicomte de Meaux, l’Église catholique et la liberté aux États-Unis, 2e édition ; Paris, 1893, V. Lecoffre. Livre excellent, auquel je dois beaucoup, et qui m’aurait découragé d’écrire le présent article, si je ne m’étais placé à un point de vue très différent de celui de M. de Meaux.