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d’innombrables formes, et pour ses brillantes fantaisies il tire parti d’une façon merveilleuse des accidens du feu, ménageant, en véritable sorcier, les oxydations et les marbrures, gravant, par exemple, les figures du Sommeil, du Silence et de la Nuit sur une coupe que les oxydes ont, par hasard, veinée de traînées noires, ou bien incisant un combat de pieuvres sur un vase dont les tons verdâtres ont éveillé en lui l’illusion du fond de la mer.

Constamment en progrès, Emile Gallé a exposé encore au dernier Salon des verreries remarquables autant par la valeur de l’expression intellectuelle que par la nouveauté des pâtes cristallines qu’il a mises en œuvre. Ces pâtes « se montrent tantôt, suivant les expressions mêmes du verrier nancéen, brochées et pareilles à de légers tissus, tantôt marquetées à la manière de ses ébénisteries, cette fois par insertion à chaud des pièces de décor dans l’épaisseur du cristal en fusion[1]. » Ainsi que le dit fort bien un juge éminemment compétent, M. Victor Champier, « c’est une ornementation puissante et délicate en même temps. Il y a là des innovations fécondes en surprises, telles que la patine du verre, floraison pour l’œil, caresse attiédie par le toucher ; le brochage, qui voile de tulles et de gazes vaporeuses l’éclat dur des cristaux ; les verres mosaïques, marquetés, sous glaçure ; l’intorsia, art tour à tour barbare ou léger comme le parenchyme d’un pétale de fleur. Des épanouissemens de décors montent des parois internes et du fond d’horizon pour fleurir à l’épiderme des vases, floraisons qui n’ont besoin d’aucune retouche, ou bien deviennent motifs à des finitions exquises… Cette nouvelle production française est due à des recherches de laboratoire menées par Gallé, depuis plusieurs années, avec tout le mystère possible[2]. »

Parvenu à cette hauteur, l’art du verre ne semble pas pouvoir aller plus loin. Un artiste comme Emile Gallé fait songer à un abstracteur de quintessence qui essayerait de matérialiser l’impalpable et de vitrifier le rêve. Ce magicien du feu paraît donner un démenti à ce que nous disions tout à l’heure sur les progrès comparés de la verrerie dans l’antiquité et dans les temps modernes. Mais son exemple est précisément fait pour démontrer la souplesse, la puissance, la diversité et l’étendue des ressources d’une matière telle que le verre, puisque par l’étude chimique de ses modes d’expression, par l’ingéniosité des ornemens adaptés

  1. Revue des Arts décoratifs, t. XVIII. p. 148.
  2. Victor Champier, ibid.