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pourquoi il est plus solide qu’une cité antique ; mais, en revanche, il est bien plus compliqué… » Cette complication de l’existence, cette tendance à tout spécialiser qui caractérise notre civilisation moderne ont donné naissance à une foule de constructions diverses dont on ne sentait pas le besoin autrefois, et qui doivent avoir des formes et des aspects différens pour répondre aux besoins variés qu’elles doivent satisfaire. Aux palais et châteaux de jadis, à nos églises, à nos hôtels de ville, à nos palais de justice sont venus s’ajouter quantité d’édifices qui peuvent se ranger en catégories multiples. Il y a ceux qui correspondent aux grands services de l’État : ministères, hôtels de préfecture, hôtels des postes, hôpitaux, écoles, etc. Il y a les théâtres, qui se multiplient tous les jours, les salles de ventes et d’expositions, les marchés, bourses, instituts, facultés, bibliothèques, musées, etc. Il y a les grands magasins qui prennent une place de plus en plus importante, les gares de chemins de fer, les hôtels et restaurans, dont le luxe, l’organisation, les aménagemens, calculés pour séduire la foule sans cesse croissante des voyageurs, sont assurément un des traits caractéristiques de nos mœurs modernes. Enfin il y a l’infinie variété de ce qu’on nomme les maisons de rapport, et surtout des habitations privées, lesquelles n’ont à aucune époque reflété à un degré égal le caprice individuel, la fantaisie particulière, et l’on pourrait presque dire l’anarchie du goût comme en notre temps.

On avouera que tant de bâtimens, si divers d’usage et de types, ont singulièrement élargi la signification du mot architecture, et que nous nous éloignons par la force des choses du sens que lui donnaient les anciens. En effet, pour chacune de ces constructions, il faut se servir de matériaux différens, car ceux qui conviennent à un marché ou à une gare de chemin de fer ne sauraient être les mêmes que pour une église ou une demeure princière. Ce sont les besoins, c’est la destination de l’édifice qui dictent le choix de la matière employée. Or comme tous les matériaux imposent des formes appropriées à leurs qualités et à leur nature, il en résulte forcément une diversité dans les conceptions architecturales. Il n’est pas téméraire de prévoir que nous aurons au XXe siècle une série de styles qui correspondront à la pierre, à la brique, au métal et à ses divers emplois, au verre enfin, aux combinaisons de ces matériaux entre eux, et ce sera principalement par les motifs de leur décoration qu’ils porteront le cachet de leur époque.