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artificielles et qui peuvent se mouler ? N’a-t-on pas la méthode du ciment armé, si fort en vogue en ce moment, qui consiste en un lit de béton coulé sur un bâti de bois reproduisant la forme de la partie à construire, et dans lequel on encastre une ossature de fer qui règle et consolide le tout ? Elle contient en germe, à elle seule, toute une révolution dans l’art de construire ! N’a-t-on pas, enfin, la céramique et surtout la verrerie, dont les progrès inouïs dans ces derniers temps permettent d’entrevoir à bref délai une transformation profonde, radicale, dans l’outillage de l’architecture ?

Mais avant de parler du verre et des applications étonnantes autant que variées qu’on va pouvoir en faire, une remarque s’impose. Il est certain qu’à l’heure présente le mot architecture n’a plus et aura de moins en moins la signification précise et limitée qu’on lui donnait jadis. Chez les anciens, où l’existence était infiniment plus simple que chez nous, l’architecture se bornait à quelques types de constructions, pas davantage. Les Grecs avaient les temples, quelques palais, le théâtre, les bains, les maisons privées, et c’était tout. « Comptez, dit Taine[1], ce qui compose aujourd’hui un logis passable, grande bâtisse à deux ou trois étages, fenêtres vitrées, papiers, tentures, persiennes doubles et triples, rideaux, calorifères, cheminées, tapis, lits, sièges, meubles de toute espèce, innombrables brimborions et ustensiles de ménage et de luxe, et mettez en regard les frêles murailles d’une maison de Pompéi, ses dix ou douze petits cabinets rangés autour d’une cour où bruit un filet d’eau, ses fines peintures, ses petits bronzes : c’est un abri léger pour dormir la nuit, faire la sieste le jour, goûter la fraîcheur en suivant des yeux des arabesques délicates et de belles harmonies de couleurs ; le climat ne réclame rien de plus. Aux beaux siècles de la Grèce, le ménage est bien plus réduit encore. Des murs qu’un voleur peut percer, blanchis à la chaux, encore dépourvus de peintures au temps de Périclès : un lit avec quelques couvertures, un coffre, quelques beaux vases peints, des armes suspendues, une lampe de structure toute primitive, une toute petite maison qui n’a pas toujours de premier étage : cela suffit à un Athénien noble… Aujourd’hui un État comprend trente à quarante millions d’hommes répandus sur un territoire large et long de plusieurs centaines de lieues, c’est

  1. H. Taine, Philosophie de l’Art, t. II, p. 162.