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lointain, parce qu’ils sont allés au loin combattre pour elle, et qu’ils en ont planté comme un rejeton resté vigoureux sur des terres depuis longtemps perdues. Le 21 septembre, Québec lui élevait une belle statue et célébrait à cette occasion ce que les journaux canadiens appellent avec fierté une fête nationale. Anglais et Français se confondaient dans un même sentiment. Nous renonçons à énumérer les nombreux et éloquens discours qui ont été prononcés, le premier par le gouverneur général, le comte d’Aberdeen, puis par M. Kleczkowski, consul de France et représentant du Président de la République, puis par beaucoup d’autres, parmi lesquels il ne faut pas oublier sir Wilfrid Laurier et M. l’abbé Corbeil. Il y a eu là une fête vraiment française par le cœur, à laquelle les Anglais s’associaient aussi de tout cœur, parce qu’ils la savaient animée d’un sincère sentiment de loyalisme. Champlain les avait pourtant combattus autrefois ; mais il y a longtemps, et aujourd’hui la réconciliation des deux races s’est faite sous un gouvernement équitable et libre. Voilà ce que deviennent nos querelles les plus ardentes quand l’histoire a terminé son évolution. Ne serait-il vraiment possible de se rendre justice qu’après plusieurs siècles écoulés ? Ne serait-il pas plus digne, et peut-être plus profitable, d’être entre vivans ce que notre postérité sera plus tard pour les morts ? Nous voudrions qu’un souffle d’apaisement nous vint de Québec en passant par Londres. Peut-être est-ce trop désirer ? Quoi qu’il en soit, nous envoyons notre salut affectueux à nos frères canadiens. La gloire de Champlain nous est commune à eux et à nous. Ce grand Français, — et il n’est pas le seul, — croyant servir la France, a travaillé pour l’Angleterre. Nous ne voulons nous souvenir aujourd’hui que d’une chose : c’est qu’il a bien servi la civilisation et l’humanité.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.