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Les ouvriers et les employés des chemins de fer ne sont généralement pas mécontens de leur sort et la grève n’exerce jusqu’ici sur eux qu’une faible tentation. On a pu le voir, il y a quelques semaines encore : des efforts ont été faits pour les entraîner, mais ils n’ont pas réussi. L’homme du syndicat des chemins de fer, M. Guérard, a bien essayé, par ce qu’on peut appeler des promesses de la dernière heure, de prolonger encore la grève, en faisant espérer qu’elle s’étendrait bientôt à toutes les voies ferrées ; on n’a pas ajouté grande confiance à ses promesses. En somme, la Bourse du travail a fait autour de la grève comme un grand bourdonnement, mais on y a entendu plus de discours qu’on n’y a pris de résolutions fermes. Le nœud de la situation n’était pas là ; il était au Conseil municipal ; et la Bourse, après avoir beaucoup parlé, s’est contentée d’envoyer des délégations à l’Hôtel de Ville.

Les dispositions du Conseil municipal ne pouvaient pas être suspectes aux grévistes, puisque le premier acte de cette assemblée avait été, comme nous l’avons dit, de leur voter des subsides. Si elle a voulu par-là leur inspirer confiance, elle y a réussi dans une certaine mesure. Le président, M. Navarre, et à sa suite tout le bureau du Conseil ont pris une part très importante aux négociations qui ont eu lieu entre les entrepreneurs et les ouvriers, ou, pour mieux parler, toutes ces négociations se sont faites par eux. Le Conseil municipal, comme la Bourse du travail, a voté un certain nombre d’ordres du jour qui n’avaient d’autre objet que de produire un effet moral : à peine est-il besoin de dire que cet effet tournait généralement contre les entrepreneurs et à l’avantage des ouvriers. Mais enfin, que voulait-on des entrepreneurs ? Que pouvait-on attendre d’eux ? Que prétendait-on leur imposer ? Il était difficile de croire qu’après avoir, à tort ou à raison, établi leurs comptes d’une certaine manière, et après avoir passé leurs contrats en conséquence, ils admettraient purement et simplement les exigences des ouvriers. Le plus simple, sans doute, était de résilier les marchés et de les recommencer sur des bases nouvelles. C’est ce que le bureau du Conseil municipal leur a proposé à un certain moment, et ce qu’ils ont accepté. Pourquoi ne s’en est-on pas tenu là ? Cette solution aurait été probablement la moins mauvaise : est-ce pour cela qu’à la réflexion, le Conseil municipal en a préféré une autre ? Il a voté une résolution d’après laquelle les entrepreneurs devaient être sommés de rouvrir les chantiers et de reprendre les travaux à jour fixe, ce qui était les obliger à capituler devant les ouvriers. Naturellement, on prévoyait le cas où ils s’y refuseraient, et il est même