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III

La chose est d’autant plus fâcheuse qu’en accaparant, comme elle fait, la curiosité du lecteur, cette partie philosophique du nouveau roman de Mrs Humphry Ward risque de nuire à l’intérêt d’une autre partie, purement romanesque, et qui est au contraire des plus agréables : car on y retrouve tout le talent de l’auteur de Bessie, sa finesse d’observation, sa justesse d’expression, son habileté à mettre en relief la lutte des caractères et des sentimens ; et jamais peut-être, depuis George Eliot et les sœurs Brontë, certains aspects de la vie de province anglaise n’ont été mieux décrits.

Cette seconde partie, ou, plus exactement, ce second sujet d’Helbeck of Bannisdale est l’histoire d’une jeune fille qui, au sortir de la fièvre intellectuelle d’une ville d’université, se voit transplantée dans un des plus calmes coins du Westmoreland, et qui se laisse prendre, peu à peu, au charme de cette triste et poétique région. Tout y est, pour elle, imprévu et délicieux, tout y a une âme qui répond à son âme. Et d’un bout à l’autre du roman l’auteur nous montre l’action, sans cesse plus vive, qu’exercent sur elle les lieux qui l’entourent ; et ce sont, à tous les chapitres, des paysages variés qui s’offrent à nous, indiqués en quelques traits d’une précision admirable. Qu’on lise, par exemple, le récit d’une des premières promenades de Laura aux environs de Bannisdale :


« La matinée était claire et fraîche. Un vent mordant soufflait, malgré l’éclat du soleil, et les bourgeons semblaient tout desséchés. Mais pour Laura cet air était un vin bienfaisant ; et le pays qu’elle voyait la transportait de plaisir. Elle montait le flanc d’une colline, se dirigeant vers un village épars à mi-côte… Au-dessus d’elle, à droite, s’élevait une montagne dénudée et rocheuse, coupée de sillons noirs qui plongeaient, en ligne directe, vers les bois entourant le village : au-dessous, dans la vallée, se déployaient le rouge et le vert de la mousse. Les rivières brillaient au soleil, dans leur course rapide des montagnes à la mer. Et plus loin, à l’horizon, les hauteurs de la région des lacs s’unissaient avec le soleil et les nuages pour former un somptueux décor : les pics jetant leur note bleue sur le fond blanc, les