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Malheureusement l’obscurité ne nous permet pas de tirer. Un instant après, c’est une compagnie de perdrix qui vient se jeter, en courant, au milieu même de notre campement et de nos instrumens de cuisine épars sur le sol. Cette fois, l’occasion est trop belle et l’aube commence à poindre. Nous tuons un des outrecuidans volatiles à bout portant.

Aussitôt les animaux chargés, nous nous mettons en route sous la conduite de Djoumani et de deux de ses gens. La veille, le chameau chargé de bois et portant une yourte a été envoyé en avant avec deux hommes, en prévision de notre campement suivant. Quittant la vallée de Sari-Koutchouk, nous commençons à escalader une rainure latérale où coule, en cascades successives, un ruisseau qui n’est qu’un faible affluent du Terek, mais qui cependant continue à porter ce nom, qui est celui du torrent principal, sans doute à cause de son importance routière au point de vue de la traversée de la chaîne. Au point de vue hydrographique, ce n’est pourtant qu’un torrent secondaire. La pente est raide : quelques genévriers épars se montrent encore sur les flancs de la gorge où nous grimpons. Mais les derniers d’entre eux ne tardent pas à disparaître, et nous arrivons bientôt au-dessus de la limite de la végétation. Quelques perdrix se montrent encore devant nous. Balientsky en tue une, à balle, avec une de nos carabines Berdan. Décidément le berdan court, dit berdan de Cosaque, inférieur à la carabine Gras comme arme de guerre, à cause de sa plus faible portée et de sa solidité moindre, est une bonne arme de chasse.

Les rochers sur lesquels nous marchons sont tout habillés de stalactites de glace, ce qui ne facilite pas l’escalade. Le thermomètre accuse — 12°. Cependant la rivière n’est pas gelée, sans doute à cause de la rapidité du courant, qui n’est qu’une suite de cataractes. Les bords seuls sont pris ou plutôt les embruns de la cascade ont formé sur les rochers noirâtres des deux rives comme des dentelles ou des amorces de voûtes de glace suspendues au-dessus de l’eau, qui sont d’un charmant effet, mais qui gênent quelque peu pour gravir les berges. De temps en temps nous sommes obligés de passer d’un bord à l’autre, en marchant dans l’eau, et la température est si basse que les éclaboussures apportées sur la berge par les pieds et les queues des chevaux gèlent instantanément et forment une couche de verglas qui rend l’accès de la rive au même endroit plus difficile pour le cheval suivant.