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seul coup le symbole ironique ou terrifiant. Cette pauvreté était sa force. Elle l’obligeait à choisir, dans l’amas des lignes, les seules parlantes, les seules vivantes, les seules symboliques. D’ailleurs, il ne cherchait point à donner l’illusion d’une réalité. Il avait quelque chose à dire, et, pourvu qu’on le comprît, il se tenait pour satisfait. C’est la période linéaire.

Avec la caricature gréco-latine, il n’a plus rien à dire et il cherche à dire mieux. Les traits se compliquent ; les couleurs se multiplient ; le bronze ou la terre coulent dans des moules plus variés. Les Pygmées des fresques sont modelés comme les figures mêmes des Dieux. Les singes qui se dressent en terre cuite ou en métal, vêtus de la toge, sont de vraies petites statues. De même, dans les statuettes caricaturales gauloises, représentant des singes en camail et en capuchon, l’effort tend toujours vers une réalisation plus complète. On vise au trompe-l’œil. C’est la période plastique qui commence.

Au moyen âge, la caricature étant taillée à grands coups de ciseau dans la pierre des portails d’églises ou chantournée en plein bois dans le corps des stalles, elle comporte nécessairement un modelé assez compliqué. De plus, c’est un motif de décoration. Il faut donc qu’elle s’accommode de l’ordonnance générale de l’édifice et qu’elle y entre comme elle peut. De là, le ramassement des figures qui fait tout le grotesque du moyen âge ; de là, les grosses têtes sur les petits corps, les membres repliés, reniasses sous le menton. C’est la période plastique et décorative.

A ce rôle décoratif qui parfois la gênait, la statuette grotesque de nos cathédrales doit d’être restée un objet plaisant aux yeux, tandis que, séparée d’un ensemble d’art, elle devient un objet de dégoût. Il est impossible de garder longtemps sous les yeux une statuette de Dantan ou de tout autre caricaturiste. On ressent, par un confus malaise, que la sculpture caricaturale est un genre faux, lourd et rebutant. C’est d’abord que la caricature étant une synthèse, elle devient beaucoup plus difficile à réaliser dans une matière où tous les plans doivent être figurés et toute la surface matériellement reproduite, comme dans une sculpture. Et c’est ensuite que le buste ou la statuette ont toujours l’aspect d’un trompe-l’œil, tandis que le trait sur du papier est, de sa nature, un simple signe. Or la laideur peut être signifiée, mais elle ne doit pas être matérialisée jusqu’au trompe-l’œil. L’impression doit passer vite. On peut évoquer un monstre : on ne doit pas le montrer.