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gouvernée par les diverses branches d’une seule et même dynastie, éminemment nationale. Pour les souverains anglais, au contraire, souvent étrangers et suspects, représentans de dynasties toujours changeantes, — Normands, Angevins, Lancastre, Tudor, Stuart, Orange, Hanovre, — les guerres devenaient, comme l’a bien montré M. G. Monod, une cause de dépendance vis-à-vis de leurs sujets. Ne pouvant exiger des subsides au nom d’un danger immédiat, ils étaient obligés d’en solliciter pour soutenir leurs prétentions plus ou moins lointaines au delà des mers. De là, entre sujets et souverains, des marchés en bonne forme. S’agit-il de conquérir les libertés publiques, où les Anglais ont bien vite reconnu la sauvegarde de leurs propres intérêts, ils s’y appliquent avec la même persévérance et la même méthode qu’à l’extension de leurs affaires personnelles. Ce sont de véritables contrats que les villes signent avec le roi, pour obtenir le privilège de certains droits nettement définis. Dès qu’un progrès politique a été accompli, on le constate par un écrit formel, on le consacre par une charte, qui passe sous silence les principes, mais stipule exactement les moindres détails de l’affaire. Même dans la guerre des Deux-Roses, si les villes se rangent sous le drapeau d’York ou sous celui de Lancastre, c’est d’après leur clientèle et leurs intérêts commerciaux. Les guerres civiles pouvaient, en Angleterre, durer plusieurs années sans provoquer l’intervention d’un voisin ; la rébellion intérieure n’était donc pas, comme sur le continent, un crime contre la patrie même ; la complicité volontaire ou involontaire avec un ennemi du dehors ne compromettait pas la liberté de la nation. Grâce à toutes ces circonstances, loin d’abandonner peu à peu leurs droits devant la royauté (ce que durent faire les peuples du continent), les Anglais ont pu les conserver et les développer. Plus heureux que les anciens Romains, ils ont pu s’enrichir sans se corrompre, sans se diviser, sans compromettre leur liberté, sans avoir besoin de dire comme les Romains de Shakspeare en présence de Brutus : « Faisons-le César. »

Après l’établissement des libertés constitutionnelles et du régime parlementaire, le second fait important dans l’histoire de l’Angleterre est l’expansion coloniale. « L’Angleterre, dit Green, à partir du XVIIIe siècle, enfante des nations. » Les progrès de l’industrie et du commerce ont forcé l’Angleterre à agrandir indéfiniment son domaine. L’esprit national s’est élargi au delà des