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même « très intelligent ; » si on a des raisons vraiment péremptoires pour apporter à tous les jeunes esprits des idées après tout si étranges ; et, en somme, pour traiter le sens commun avec cette désinvolture. — Nous ne prétendons pas, d’ailleurs, démontrer la fausseté de ces idées ; ce n’est pas ici et pour le moment notre but ; nous nous demandons simplement si elles sont assez claires et assez incontestables pour être érigées en axiomes.

C’est dans cette simple intention que nous étudierons les deux formules où elles se résument : « les Qualités sensibles sont des états internes » et : « les Qualités sensibles sont de pures apparences. » Nous signalerons ensuite quelques conséquences logiques de ces formules.


I

Examinons la première de ces propositions : « les Qualités sensibles sont des états intérieurs. » Elle est à peu près universellement acceptée, répétée, enseignée. On ne trouverait peut-être pas un seul manuel classique où elle ne soit posée comme une vérité inébranlable, et, ce qui est pis, comme une vérité si évidente qu’on ne prend plus la peine de l’établir. Les preuves sont presque toujours remplacées par des formules comme celle-ci : « il ne viendrait à l’esprit de personne de nier… » etc. On remarque bien qu’une telle doctrine choque le bon sens, mais on le remarque avec un beau mépris pour le bon sens. Ceux mêmes d’entre nos philosophes qui sont le plus « réalistes » adoptent cette doctrine comme on se soumet à l’évidence ; ils démontrent « qu’il y a quelque chose de réel qui correspond à nos sensations, » mais ils déclarent que la couleur, le son, la résistance sont « purement intérieurs à l’esprit. » Or il nous semble qu’il y a là, non seulement des affirmations téméraires, mais même d’absolus non-sens, et des réponses inintelligibles à des questions elles-mêmes déraisonnables. On s’en convaincra, soit qu’on examine cette proposition, soit qu’on examine les argumens sur lesquels elle s’appuie.

Commençons par les argumens. Pour prouver « l’intériorité » des phénomènes sensibles, on en invoque trois principaux : un argument tiré de notre structure nerveuse, un argument tiré du rêve, un argument tiré de la science.

L’argument tiré de notre structure nerveuse peut être présenté de la façon suivante : il est impossible, dit-on, que nous