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répondre de même, car ce serait injurier la famille du Prophète. Ils sont exempts d’impôts. Ils vont de temps à autre faire des quêtes lucratives parmi les croyans ; partout ils sont sûrs de trouver l’hospitalité la plus large. S’ils comparaissent en justice, quels que soient leurs loris, ils sont toujours absous, car il n’est pas de juge qui voudrait condamner un descendant de Mahomet, et tous les chérifs d’ailleurs ne sont-ils pas capables d’être un jour sultans ?

Cette inaction de la justice à l’égard des chérifs a amené fréquemment des difficultés entre le gouvernement marocain et les puissances européennes ; les chérifs, vivant de la religion, excitent souvent les musulmans à la haine et au massacre des infidèles. Un d’eux avait fait tuer ainsi un Espagnol qui n’avait pas voulu lui faire place ; sur les instantes réclamations du consul d’Espagne, on pendit un pauvre diable que l’on avait arrêté à la hâte, mais le vrai coupable avait été épargné parce qu’il était chérif. Une fois cependant — et ce fut une stupeur chez les musulmans de Tanger, en 1842 — un chérif qui s’était amusé à tirer des coups de fusil sur des Français dans une barque, fut bâtonné sur la place publique ; le commandant d’un de nos vaisseaux de guerre avait dû, pour obtenir cette satisfaction, menacer la ville d’un bombardement.

Une autre espèce d’hommes jouit à peu près des mêmes privilèges ; ce sont les fous, ou, comme disent les Espagnols, les santons. Les musulmans les vénèrent, logiques en cela, puisque le but de leur religion, c’est l’anéantissement de la volonté, la perte de la personnalité, l’indifférence aux choses de ce monde ; les fous pour eux sont arrivés à l’inconscience, c’est-à-dire à la perfection. Ils croient que la pensée de Dieu habite ces cerveaux laissés vides par la pensée humaine. Ils traitent les fous avec les plus grands égards, recueillent avidement leurs paroles, estiment que les toucher, recevoir leurs crachats ou leurs coups porte bonheur. Il n’est pas de voyageur européen, de touriste même dans les villes du littoral, qui n’ait rencontré quelques-uns de ces malheureux santons, courant tout nus par les rues ou revêtus d’oripeaux, d’autres armés de bâtons et de lances et frappant ceux qu’ils peuvent atteindre. On en a vu se livrer sur les femmes aux derniers outrages, au grand contentement de la famille et du mari. Tout en un mot leur est permis.

« Nous venions dépasser, dit Drummond-Hay, devant l’arsenal