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les siècles ont chacun apporté leur pierre, grande ou petite, variée de couleur et de forme, au précieux édifice de l’influence française. Cet Orient chrétien, arraché aux infidèles par la foi guerrière des chevaliers francs, défendu plus tard par la diplomatie des « rois Très Chrétiens, » vivifié et remis en contact avec le monde moderne par nos missionnaires et nos commerçans, est devenu comme une partie de notre patrimoine, quelque chose de la France elle-même, de sa chair et de son sang.

Dans la grandiose procession des hommes qui ont créé la patrie française, qui lui ont donné son unité et son âme en lui donnant son histoire, voici d’abord les preux du moyen âge qui combattirent sous le signe de la croix, conquirent la Terre Sainte et du nom de France firent dans tout l’Orient un symbole de vaillance et de loyauté. A leur tête, c’est saint Louis dont le souvenir reste populaire et vénéré dans les pays du Levant ; à la gloire de la France, il ajoute la couronne du martyre et l’auréole de la sainteté. Mais les temps de la grande prouesse s’en vont : la politique est, au XVIe siècle, une maîtresse exigeante, sans idéalisme, uniquement pratique ; il faut lutter pour ne point périr, combattre âprement avec toutes les armes ; la conduite des États devient une affaire où les diplomates sont les courtiers. Etouffée entre les deux branches de la maison de Habsbourg, la France de François Ier, pour ne point disparaître, s’allie avec Soliman ; elle donne à l’infidèle droit de cité dans l’Europe moderne, elle l’introduit dans le droit public. Des commerçans d’ailleurs, avant les politiques, avaient lié des relations avec le monde musulman ; dès l’époque de Jacques Cœur, les vaisseaux français sillonnaient les mers du Levant. L’idéal très noble de l’union des chrétiens contre l’infidèle était déjà bien oublié lorsque nos rois achevèrent de le détruire.

Mais en même temps qu’ils consommaient cette ruine du grand principe d’unité qui avait fait la force des siècles antérieurs, les derniers Valois revendiquaient pour la France l’avantageux devoir de protéger dans l’Empire ottoman les voyageurs, les religieux, et les négocians chrétiens. Durant tout l’ancien régime le « roi Très Chrétien » continua d’entretenir, avec le « Commandeur des Croyans, » des relations d’amitié ; les Capitulations[1] reconnurent, en échange à « l’Empereur de France » et à lui seul le droit de protéger, dans toute l’étendue des

  1. Les premières Capitulations sont celles de 1535, signées par l’ambassadeur de François Ier, Jean, sire de La Forêt. Citons ensuite parmi les principales, celles de 1604 qu’obtint Savary de Brèves, envoyé de Henri IV, et celles de 1672, concédées au marquis de Nointel, etc.