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armait dans le port de Kiel, et, au moment où, sous les ordres du prince Henri, elle allait prendre le large, une théâtrale manifestation apprenait au monde que « pour toujours » la « protection impériale » devait être assurée « à la Hanse allemande et aux missionnaires allemands ; » et afin que cette inauguration d’une politique nouvelle fût plus éclatante et plus solennelle, l’empereur envoyait en Extrême-Orient son propre frère. Bien plus, il avait songé à partir en personne pour les mers chinoises ! « Je connais fort bien la pensée de Votre Majesté, disait le prince Henri, je sais quel lourd sacrifice Elle l’ait en me confiant un si beau commandement. » Ou les mots n’ont pas de sens, ou le héros de roman qu’est parfois Guillaume II a rêvé, croisé d’un nouveau genre, de porter lui-même au monde jaune « l’évangile de la personne sacrée de l’Empereur. »

Au moment même où le souverain et son frère échangeaient ces toasts retentissans, le cardinal Kopp, prince-évêque de Breslau et Mgr Stablewski, archevêque de Posen, envoyèrent leur bénédiction pour l’heureuse traversée du prince Henri et de son escadre. Les télégrammes des deux prélats, répondant aux discours impériaux, furent l’affirmation officielle de l’accord du Kaiser avec l’église catholique d’Allemagne et comme le baptême de cette politique nouvelle qu’un homme nouveau, le baron de Bulow, allait être appelé à pratiquer.

M. de Bulow a longtemps séjourné à Rome, comme ambassadeur auprès du roi Humbert. Très écouté au Quirinal, il sut aussi comprendre quelle maîtresse pièce est aujourd’hui sur l’échiquier politique la papauté prisonnière. Diplomate d’instinct et de tempérament, il sentait son intelligente curiosité attirée vers ce Vatican, où les échos du monde entier viennent retentir, où toutes les choses terrestres ont leur répercussion et viennent se mesurer au compas des éternelles promesses, où derrière un paravent de petites intrigues, se meuvent majestueusement les grandes idées qui, au nom du Divin, mènent les affaires humaines. Il étudia donc et pénétra les apparens mystères de la politique pontificale ; la puissance morale et matérielle du Saint-Siège dut lui sembler plus imposante encore en face de la décadence de l’Italie officielle. On remarqua beaucoup qu’avant de quitter Rome pour prendre la succession du baron de Marschall, M. de Bulow obtint une audience du Saint-Père. Qu’un ministre protestant du protestant empereur d’Allemagne, la veille encore