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contient un corps, ainsi que personne n’en doute. Il faut être chrétien pour ne pas comprendre un mystère aussi simple, étant donnée la toute-puissance d’Allah, et il faut avoir sur l’emploi du temps les principes défectueux par lesquels nous péchons, pour le perdre à discuter vainement de pareilles choses. Toutefois il y a lieu de reconnaître que la montagne d’Och, plus que beaucoup d’autres, et mieux qu’aucune autre, peut-être, répond par sa situation géographique et par son aspect au signalement que les traditions sacrées de l’Islam donnent de la mystérieuse montagne de Kâf, où le roi Salomon est endormi, ni plus ni moins que l’empereur Barberousse dans le Kyffhauser. Car en somme, ce que l’on sait de positif, c’est qu’elle est très escarpée et qu’elle se trouve dans l’est, fort loin par-delà le pays de Châm, c’est-à-dire la Syrie, et qu’elle fait partie de la ceinture de montagnes qui borne de ce côté le monde habité par les Musulmans. Ce qui correspond assez bien au Pamir. Ce peut donc être la montagne d’Och, tout aussi bien que l’Ararat ou le Demavend, avec lesquels l’ont identifiée plusieurs commentateurs.

25 octobre 1890. — Groumbtchevsky, devançant de vingt-quatre heures son convoi, vient d’arriver ici en doublant la dernière étape. Son entrée à Och a été des plus pittoresques. Il est accompagné d’un entomologiste allemand, M. Léopold Conradt, qui lui sert de préparateur. Tous deux ont fort bonne mine et ne paraissent pas avoir trop souffert de leur voyage. Cependant Groumbtchevsky est atteint d’un asthme cardiaque, conséquence naturelle et assez fréquente d’un séjour de plusieurs mois à de très grandes altitudes. Tous deux ont un peu l’aspect de ces voyageurs hivernant au pôle nord, dont l’image est familière à tous les amateurs de géographie : leur figure, large et très colorée, émerge de vêtemens de fourrure très usés et devenus absolument informes à la suite de dix-huit mois de rudes services. Le visage de Groumbtchevsky est en outre encadré d’une longue barbe de même âge, qui constitue une véritable broussaille. Sa très grande taille contribue encore à augmenter la sauvagerie de son aspect. Il est armé d’un fusil à trois coups, d’un poids invraisemblable. C’est d’ailleurs un chasseur émérite, et, avant tout, un homme d’action, en même temps qu’un homme habile et de bon conseil.

Le voyage qu’il vient de faire présente un intérêt géographique tout particulier.