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En passant devant l’entrée de la grand’chambre et de la chapelle, où l’assistance est nombreuse, nous percevons un bruit de chants et d’orgues : c’est l’office qui va s’achever en procession. Dans la cour, il y a du monde, mais point de foule ; des toilettes printanières, des ombrelles rouges et mauves, des chapeaux fleuris, des complets clairs. Ces élégances de petite ville ne font pas trop mal au balcon de la galerie supérieure, dans l’encadrement des bois découpés. Il y a aussi quelques voyageurs, des artistes, des correspondans de journaux illustrés, heureusement point de « touristes. » Plusieurs appareils photographiques se préparent à braquer leur artillerie sur le cortège attendu. Tout cela n’est guère du temps. Seuls, quelques mendians en haillons, quelques vieillards à barbe moisie, semblent avoir hérité des loqueteux et béquillards du moyen âge leur aspect de délabrement et de vétusté.

Au bout de la cour, un jeune garçon d’une dizaine d’années est couché dans un lit formant boîte allongée. Sans doute, c’est un petit coxalgique, que les sœurs ont sorti pour lui faire respirer l’air et voir la fête. Il est là, le pauvret, prisonnier sous ses draps qui lui montent jusqu’aux épaules, toujours étendu, immobile, façonné et comme résigné à sa pose de paralytique : un peu de vie pourtant et d’espoir luit dans ses yeux, comme s’il attendait un miracle.

Par un escalier en spirale, nous montons au promenoir d’en haut et le parcourons dans sa longueur, à travers des frôlemens de jupes et des murmures de causeries. Arrivés près de la tourelle d’angle, on nous fait jeter un coup d’œil en arrière : à travers les ouvertures supérieures de la galerie, le regard prend d’enfilade la double ligne des louvres, et la succession des saillies, l’enchevêtrement des déchiquetures, les tons de mine de plomb tranchant sur l’azur, donnent l’illusion d’une étrange végétation aérienne, noire, compliquée, griffue, qui se prolongerait au plus loin des espaces bleus en un infini d’efflorescences métalliques.

— C’était plus beau naguère, nous disent les érudits de l’endroit, ceux qui vivent dans le passé local et le scrutent. — Naguère, des rehauts d’or, de vermillon, d’azur, étincelaient sur les profils et les frontons des louvres ; la façade intérieure était enluminée comme une page de missel. Le clocher qui surmonte la porte d’entrée posait dans une gerbe de pinacles : autour de sa base, les écussons des premières familles de la province, protectrices de