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1795, l’hospice recouvrait la gestion de ses biens. En 1810, Napoléon approuva les statuts de la communauté et rendit leur costume aux religieuses : il s’était pris de gré pour l’établissement qui soignait si bien ses soldats. Puis, comme Rolin avait tenu, malgré la présence des religieuses, à ce que l’administration fût et demeurât essentiellement laïque, on n’eut de nos jours qu’à changer certaines désignations, à supprimer quelques particularités, pour que le vieil organisme s’adaptât sans difficulté à nos lois modernes.

Aujourd’hui, les administrateurs s’assemblent périodiquement dans la chambre du conseil ; c’est le siège du pouvoir temporel. De temps à autre, on y reçoit solennellement l’évêque du diocèse, mais on rend hommage à son caractère sans reconnaître sa juridiction, car la communauté, par un privilège rare, relève directement et peut toujours se réclamer de Rome. Les sœurs se servent de la salle du conseil pour élire la maîtresse, pour célébrer les prises de voile, les professions. Là enfin se fait annuellement, par une après-midi de novembre, la vente à la criée des vins de l’Hôtel-Dieu : les administrateurs y président. C’est grand jour pour l’hôtel. De bonne heure, la foule des intéressés et des curieux envahit les cours : des pas pesans, de gros souliers ferrés, ébranlent les escaliers et les corridors. Des paysans cossus, des marchands au visage allumé de convoitises et haut en couleur, viennent s’entasser dans la chambre du conseil et se disputent chaudement les produits. Le feu des enchères n’est pas ici un vain mot : pour l’achat de chaque cru, la concurrence reste ouverte jusqu’à ce qu’une bougie allumée ait eu le temps de se consumer, tandis que sur des tables s’étalent les échantillons à déguster, l’alignement des bouteilles et la pourpre des vins. C’est la fête rouge et capiteuse, la consécration des labeurs et des profits terrestres, succédant à la fête blanche d’aujourd’hui, à la fête des âmes, qui se célèbre parmi les enchantemens de juin et dans la sérénité des longs jours.


IV

Après que l’accablante paix de midi nous eut condamnés à quelque repos, nous revînmes vers trois heures. Le temps était toujours très beau, très calme, l’azur intense, ouaté seulement çà et là de quelques bandes floconneuses, de fines gazes blanches, qui traînaient au ciel comme des écharpes lâches.