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que l’exégèse de son temps, celle de Richard Simon, commençait alors à former contre l’Écriture, et tout d’un coup, se dégageant du milieu des subtilités où l’on voulait l’embarrasser, il s’écrie : « Mais laissons les vaines disputes, et tranchons en un mot la difficulté par le fond. Qu’on me dise s’il n’est pas constant que de toutes les versions et de tout le texte, quel qu’il soit, il en reviendra toujours les mêmes lois, les mêmes miracles, les mêmes prédictions, la même suite d’histoire, le même corps de doctrine, et enfin la même substance. « C’est ce qu’il faut dire, Messieurs, de toutes les grandes questions, et de tous les grands livres. Une seule chose est nécessaire, et, selon l’expression de Bossuet, elle se tranche toujours par le fond. Laissons donc les « vaines disputes ; » il y a plus d’une manière de composer un livre ; et la forme en fût-elle moins didactique encore ou plus libre que celle du Génie du Christianisme, c’est à l’idée principale qu’il nous faut nous en rapporter. Or, l’idée principale, l’idée maîtresse de Chateaubriand peut se résumer en ces termes : il y a plus de choses dans le monde que notre philosophie n’en saurait expliquer ; d’autres puissances que la raison raisonnante atteignent ce qui échappe éternellement à ses prises ; et ce qu’elles atteignent est sans doute ce qu’il y a de plus précieux pour l’homme, à savoir l’idéal, le surnaturel et le mystère. Je n’en connais pas de plus « actuelle » ni de plus digne d’être méditée.

J’entends bien que l’on nous répond ici dédaigneusement : « Oui, les raisons du cœur, que la raison ne connaît pas ! la philosophie du sentiment, le Traité de l’existence de Dieu et la Profession de foi du Vicaire savoyard ! Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, les Harmonies de la nature ! le melon, qui a des côtes afin qu’on le mange en famille ; et les marées qu’on a instituées pour favoriser l’entrée des grands bateaux dans les ports ! Voilà beau temps que la science a dissipé cette enfantine fantasmagorie ! » On continue et on redouble. On nous demande : « Mais qu’est-ce donc, après tout, que le sentiment ? et, à moins de ne rien mettre sous ce mot que de vague et d’indéterminé, qu’y verrons-nous, qu’y voyez-vous vous-même, si ce n’est un raisonnement ou une pensée qui s’ignorent, qui n’ont pas encore la force ou la capacité de créer leur expression, qui s’y évertuent connue au hasard ? Or tel est justement l’objet de la science, et telle est la fonction de la raison. Elles épurent, elles clarifient ce qu’il y a de trouble et de confus dans le sentiment ; elles en éliminent ce que la sensibilité y mêle de tumultueux ; elles en précisent la nature, elles en mesurent la portée, elles le transforment ; et enfin, d’un mouvement