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c’est que l’esprit passe vite et résiste rarement à l’épreuve du temps. Il brilla dans la conversation à une époque où la conversation était particulièrement brillante. Ne lui refusons pas un mérite que lui reconnaissait une société amoureuse de l’esprit. — Au surplus, ni l’esprit de Lamotte, ni son bon cœur n’auraient suffi à faire vivre son nom ; et l’auteur lui-même d’Inès de Castro nous trouverait aussi indifférens que nous sommes devenus insensibles aux infortunes de son héroïne. Mais il s’est jeté dans un débat qui, à l’heure qu’il est, reste encore pendant. Il a beau s’y être jeté à l’étourdie, et avoir touché à la question avec maladresse, en montrant bien qu’il ne comprenait pas de quoi il s’agissait ; bien lui en a pris, et cela fait qu’on peut le citer, comme un type d’une famille d’esprits qu’il représente assez exactement.

Lamotte est l’homme de salon à la mode de 1715. Habitué des mardis de la marquise de Lambert et berger aux couleurs de la duchesse du Maine, il s’est justement façonné d’après le goût qui régnait dans les cénacles de la préciosité renaissante. La première condition pour y réussir, c’était de ne pas être confiné par une compétence spéciale dans quelque étude unique. C’est un risque auquel Lamotte n’est pas exposé. Profondément et généralement ignorant, il peut s’occuper de toutes choses avec une incompétence universelle. Ses panégyristes ne manquent pas d’en faire la remarque, à son honneur : « On n’eût pas facilement découvert de quoi M. de Lamotte était incapable, dit Fontenelle. Il n’était ni physicien, ni géomètre, ni théologien ; mais on s’apercevait que pour l’être, et même à un haut point, il ne lui avait manqué que des yeux et de l’étude. Quelques idées de ces différentes sciences qu’il avait recueillies çà et là, soit par un peu de lecture, soit par la conversation d’habiles gens, avaient germé dans sa tête et y avaient jeté des racines et produit des fruits surprenans par le peu de culture qu’ils avaient coûté. » Comme il touche aux sciences sans être savant, mais seulement parce qu’il était de bon ton alors d’expliquer l’astronomie aux dames et comment est bâti le corps de l’homme, Lamotte fait des vers sans être poète. Il en fait de toutes les manières, hors celle qui consiste à les bien faire. Il débute par donner des opéras ; il publie des odes en vers et des odes en prose, des fables et des cantates ; passant du genre lyrique au genre épique, de la tragédie à la comédie, du grave au doux, et du plaisant au sublime, il traduit tour à tour et avec la même aisance Homère, Anacréon et les psaumes. Il improvise des bouts rimes, des énigmes et des mandemens d’évêque. Il est, quand il le faut, orateur ou critique. Il porte partout la même facilité et la même insuffisance. Eut-il quelque