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statues ou les bustes honorifiques, consacrés aux souverains des différens royaumes. La flatterie aidant, le nombre en fut prodigieux. Au seul Démétrios de Phalère, dans l’espace de dix années, les Athéniens érigèrent trois cent soixante statues. Mais dès lors que devient l’exécution ? Pourra-t-elle être sincère ? Y trouvera-t-on l’accent de vérité, le détail individuel et caractéristique qui souvent est le détail laid ou peu noble ? Les images d’Alexandre étaient idéalisées ; celles de ses successeurs immédiats le furent aussi. Beaucoup d’entre eux prétendaient ressembler au conquérant macédonien et cherchaient à imiter sa démarche, son port de tête. Tel personnage hellénistique est traité avec la nudité qui convient aux héros. De même, sur les monnaies qui portent l’effigie des premiers Diadoques, la noblesse du visage, la pureté et la régularité des traits attestent une dernière survivance de la conception idéaliste. Le portrait officiel a donc résisté, et la chose se comprend. Il a dû cependant céder, lui aussi, au courant qui finit par tout pénétrer, tout envahir.

Que le réalisme se soit d’abord emparé des portraits des princes d’Alexandrie, rien de moins étonnant. On n’ignore pas quels remarquables portraitistes avaient été les anciens Egyptiens, avec quel sentiment de la vie ils avaient regardé et copié la nature. Quand les Grecs prirent possession du pays, les traditions locales ne purent manquer d’ajouter leur influence à ce qui était alors la pente naturelle de l’esprit hellénique. Mais si en Égypte le réalisme trouve un sol depuis longtemps préparé, où le mouvement se précipite, sur tous les points du monde hellénistique il étend peu à peu son action. Déjà même, au début de cette nouvelle période, dès le premier tiers du IIIe siècle, il serait aisé de citer pour tel ou tel prince grec deux conceptions bien différentes du même personnage : un buste idéalisé, suivant la vieille tendance encore persistante, et, à côté, une image déjà très voisine de la nature. Ainsi Pyrrhus, le roi d’Épire, nous apparaît, dans un exemplaire de la collection Jacobsen, vigoureux et plein de santé, avec une inclinaison du cou qui rappelle Alexandre le Grand ; mais un hermès d’Herculanum le montre la bouche tirée, les paupières abaissées : on sent l’homme agité, nerveux, fatigué par la vie. Descendons les temps. Dans les portraits des Séleucides et des autres Diadoques, le souci de la ressemblance, de la vérité même vulgaire, se fait de plus en plus sentir. Voici, pour terminer, deux portraits, des plus curieux, ceux de deux hommes de